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Quoi qu’il en soit, un fait nouveau demeurait acquis : c’est qu’à partir du Xe siècle, quelles que fussent les conditions et les réserves attachées à leur allégeance, les souverains bretons relevaient d’une autre puissance que Dieu et leur épée.

Un résultat aussi inattendu que cruel sortit bientôt de la dépendance dans laquelle ces princes s’étaient réfugiés pour échapper aux horreurs des invasions normandes. Ce fut aux Normands mêmes, chargés des dépouilles de son littoral, couverts du sang de ses vierges et de ses prêtres, que la Bretagne se vit livrée par les monarques imbéciles auxquels ses princes avaient spontanément reconnu des droits sur elle. Charles le Gros avait racheté son royaume avec de l’or et des vases sacrés; Charles le Simple livra des provinces afin d’en sauver les restes, et pour appoint à la Normandie il céda en bloc toutes ses prétentions sur la Bretagne, trop faible pour profiter de ses droits, trop ignorant pour les définir. Ce fût ainsi que la contrée qui, après avoir résisté quatre siècles à la conquête, avait dans une étreinte héroïque brisé l’œuvre de Charlemagne, fut un beau jour vendue à un chef barbare par un prince idiot, dont la puissance ne dépassait pas les murs d’une capitale terrifiée.

Le traité de Saint-Clair, dont l’existence n’est pas douteuse, encore que la science paléographique n’en ait pu retrouver l’instrument, doit à bon droit figurer au nombre des transactions les plus infâmes. Quoique la Bretagne, devenue, sans l’avoir soupçonné, un arrière-fief de la monarchie française, parût d’abord ignorer le droit étrange qu’on venait de conférer tout à coup sur elle à un peuple dont le nom lui faisait horreur, ce droit ne tarda pas à se révéler dans sa réalité terrible. Lorsque les ducs de Normandie furent devenus rois d’Angleterre, la malheureuse péninsule, ballottée entre des prétentions rivales qui lui inspiraient une égale antipathie, devint le théâtre de la lutte des deux grandes monarchies entre lesquelles ses ducs s’efforçaient vainement de se maintenir en équilibre. A partir de ce jour, il fut dans la destinée de ce pays de n’échapper au joug de l’une qu’en s’appuyant sur le dangereux secours de l’autre. Avec le XIe siècle s’ouvrit cette lamentable histoire de six cents ans que le sang du peuple breton sert à écrire, tandis que lui-même disparaît en quelque sorte devant l’étranger : drame héroïque, mais monotone, où d’admirables dévouemens profitent plus à l’honneur qu’à la patrie, et dont l’issue fatale était de faire de la Bretagne, malgré la passion avec laquelle elle défendait son indépendance, ou bien une simple province française, ou bien la colonie continentale de l’Angleterre.

Fractionnée, par le fait des partages, en divers rameaux établis à Rennes, à Nantes, à Vannes et à Quimper, la première maison ducale de Bretagne ne put opposer aux Normands qu’une résistance