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sait un accueil fraternel. Instruit dans la discipline romaine sans avoir répudié sa pure nationalité kimrique, Conan Meriadec ou Murdoch devint, par l’assentiment général, le chef de tous les dans celto-bretons, et fonda dans ces contrées, sous la forme d’une fédération militaire, une sorte de monarchie dont l’histoire se suit à travers des obscurités bien naturelles, mais à l’aide de monumens incontestables, plus d’un siècle avant que le petit-fils de Mérovée eût fixé ses tentes entre la Meuse et la Seine. Depuis ce jour, un courant régulier d’émigration s’établit entre la Bretagne et la péninsule voisine, et lorsque la grande île fut envahie par des nuées de Barbares de tout sang et de toute langue, quand elle poussa vers Rome impuissante le cri de désespoir qui retentit encore dans les lamentations de son Jérémie[1], ce mouvement prit des proportions de plus en plus considérables, sans que l’histoire ait à signaler entre les survenans et les anciens détenteurs du sol armoricain ni conflits personnels ni dépossessions violentes, tant la terre était vaste et la population rare, tant l’identité primordiale s’était maintenue à travers les temps et les mers[2] ! Un changement de nom devint le sceau définitif de cette révolution presque régulièrement accomplie. Vers le VIe siècle, la péninsule prit le nom de Petite-Bretagne, pendant que les Anglo-Saxons infligeaient à la grande île le nom d’Angleterre en signe de conquête et de servitude.

Mais si l’autonomie celtique se vit ainsi miraculeusement préservée dans des temps où les plus grands peuples tombaient comme les moissons sous la faucille, ce fut pour succomber plus tard sous les conditions géographiques que lui avait imposées la nature. Du côté du nouvel empire qui commençait à se former au nord des Gaules affranchies de la domination romaine, la Bretagne n’était protégée ni par un cours d’eau ni par un pli de terrain, et les Francs, qui, à l’exemple de tous les peuples fondateurs, marchaient d’un pas également résolu vers le soleil et vers la mer, ne pouvaient manquer de considérer la péninsule avec laquelle ils confinaient sur une frontière ouverte de soixante lieues comme une portion indispensable

  1. Gildas, De Excidio Britanniœ.
  2. « Point de vainqueurs ni de vaincus dans la péninsule gauloise : les nouveau-venus restèrent dans la condition à laquelle ils appartenaient. Les hommes complètement libres entrèrent comme tels au service des seigneurs du pays, les colons demeurèrent colons ; tout se réorganisa d’après les anciens usages de la terre natale. Les chartes du cartulaire de Saint-Sauveur de Redon attestent à chaque ligne que les anciennes institutions de même que la langue nationale avaient passé la mer avec les émigrés. Les machtyern armoricains ne sont autre chose en effet que les principes bretons du temps de César, ou les tyern et les arglwydd dont parlent les lais cambriennes. » Histoire des Peuples Bretons dans la Gaule et dans les îles Britanniques, par M. A. de Courson, tome II, page 207.