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I.

L’humide péninsule qui s’étend de l’embouchure de la Rance à celle de la Loire porte dans sa constitution géologique aussi bien que dans sa physionomie un caractère sur lequel les siècles n’ont guère plus de prise que les flots n’en ont sur ses rivages. Un sol de granit qui, sans prodiguer sur aucun point l’abondance, n’est nulle part ingrat pour le travail, de vastes landes coupées par deux longues chaînes de collines qui s’abaissent doucement vers l’Océan et vers la Manche; enfin, pour encadrer ce mélancolique paysage, la mer sans bornes, nourrice aimée du peuple armoricain qui lui doit tout, depuis son nom jusqu’à la fertilité de ses campagnes, tel est l’aspect général d’une contrée qui aurait conservé certainement sa nationalité politique, si la nature, en la rendant voisine d’un grand état, ne l’avait prédestinée à devenir le complément d’un autre territoire.

Les événemens parurent seconder durant plusieurs siècles les patriotiques espérances condamnées à se briser plus tard contre d’invincibles obstacles. Pendant que, du IVe au VIe siècle, la tempête confondait par toute l’Europe les races humaines comme des tourbillons de poussière, les Armoricains virent leur propre nationalité fortifiée par des invasions qui la retrempèrent à ses sources mêmes. Ce peuple avait fléchi, comme le reste des Gaules, sous la fortune romaine. En détruisant aux embouchures du Morbihan la flotte des Vénètes, César avait abattu le dernier rempart de l’Armorique confédérée, et ce pays avait été compris, depuis l’empereur Adrien, dans les limites de la Troisième-Lyonnaise. Jusqu’à la fin du IVe siècle de notre ère, les maîtres donnés au monde par les prétoriens ou par la plèbe avaient régné nominalement sur ces bords reculés. Les légionnaires avaient sillonné par de larges routes les bruyères et les marécages, couronné de fortifications les crêtes des montagnes, sans que le génie de la race celtique eût fléchi sous la pression du grand peuple si longtemps campé sur son sol. Les institutions civiles, qui avaient été pour Rome des instrumens plus efficaces que les armes, ne laissèrent dans l’organisation de ces peuplades pauvres et clairsemées aucune trace sensible, et l’occupation militaire ne modifia pas plus leur langue que leurs mœurs et leurs habitudes. En dehors du rayon où se renfermaient les aigles romaines, tout était demeuré cette et indompté. Pendant que les monumens du culte druidique disparaissaient dans toutes les Gaules sous le niveau de la servitude et de la mollesse italiques, tandis que les autels de granit s’arrondissaient en colonnes pour orner les temples des dieux nou-