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mocrates de notre temps, ont à peu près répété, sans y changer un mot et sans prendre la peine de les contrôler, les accusations articulées contre le ministre du duc François II par des hommes qui furent bien moins ses juges que ses bourreaux[1]. M’efforçant donc de caractériser les faits en eux-mêmes, sans me préoccuper des affirmations des historiens, cherchant surtout la vérité dans les trop rares documens de ce procès, où Landais se montra parfaitement calme en présence d’une mort certaine, j’ai pu me former une opinion dont on appréciera les élémens, et dont je garantis d’avance l’impartialité. Pierre Landais, qui joua un moment un si grand rôle dans les affaires de l’Europe, m’est apparu avec des qualités politiques du premier ordre et des vices qui furent ceux de son temps plus que les siens : habile parfois jusqu’à la perfidie, inexorable dans des vengeances toujours déterminées par des raisons d’état, ni plus cruel ni plus cupide que la plupart de ses contemporains, et fort supérieur à ses ennemis par l’ardeur de ses convictions patriotiques et par son courage à les servir. Je veux m’efforcer de le prouver en encadrant la vie politique de Landais dans une esquisse rapide de l’histoire de la nationalité dont il fut l’un des plus vaillans champions ; j’aurai ainsi à retracer les dernières luttes de la Bretagne expirante, heureux si je parviens à faire casser, après quatre cents ans, l’un de ces arrêts de parti contre lesquels les siècles ne prescrivent pas, plus heureux encore, après avoir consacré une partie de ma vie à étudier dans ses instrumens principaux la fondation de notre grande unité française, de mettre une fois du moins les vaincus au-dessus des vainqueurs, en montrant au prix de quelles tortures fut conquis ce grand résultat, si salutaire qu’il ait été.

Pour peindre la figure du dernier ministre breton et faire comprendre les insolubles difficultés contre lesquelles il engagea une lutte désespérée, il faut que j’expose les rapports politiques du duché avec la monarchie dans la seconde moitié du XVe siècle. Cette tâche elle-même demande à être prise de plus haut, obligation à laquelle je me résigne d’ailleurs sans peine, puisqu’en montrant quelles profondes racines avait dans le passé la pensée bretonne, j’aurai fait comprendre pourquoi le combat fut si long, et pourquoi on retrouve cette pensée vivante encore sous ses ruines.

  1. Je manquerais à un devoir si je ne faisais une exception pour M. Levot, de Brest, auteur d’une très remarquable notice sur Pierre Landais, récemment insérée au tome deuxième de la Biographie Bretonne, dans laquelle le savant bibliothécaire de la marine dépasse beaucoup par ses appréciations apologétiques la mesure dans laquelle je suis demeuré moi-même.