Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/460

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

transactions européennes, le dernier point d’appui des résistances locales contre la royauté triomphante.

Ce changement avait été l’œuvre soudaine d’un serviteur obscur qui avait su rendre quelque courage au faible François II et fixer pour un temps sa volonté incertaine. Ennemi naturel des grands, auxquels il rendait en haine ce qu’ils lui portaient de dédain, ce ministre avait compris que le péril principal pour le duché était au cœur même de l’état, et que pour résister avec succès au roi de France, la première condition était d’abaisser ses secrets complices, hôtes assidus de la cour de Nantes, propriétaires ou gouverneurs des plus fortes places de la Bretagne. Comment s’étonner si, après une lutte soutenue contre d’aussi puissans ennemis, des calomnies destinées à traverser les siècles ont poursuivi la mémoire de ce malheureux attardé dans sa courageuse fidélité, et si des passions implacables ne se sont pas assouvies même dans son sang ?

Du fond de ce château, enveloppé dans le silence et dans la nuit, il me semblait, lorsque ces dramatiques souvenirs me revenaient plus distinctement, entendre sortir des bruits d’armes et des cris de mort. C’est là que le grand-trésorier Landais fut arraché par l’émeute des bras de son vieux maître ; c’est ici que fut dressé le gibet où il expia le tort d’avoir défendu une politique bretonne contre une aristocratie déjà plus d’à moitié française : voilà les fenêtres de la grand’salle où le dernier duc de Bretagne, renonçant à défendre l’honneur de l’homme dont il n’avait pas su préserver les jours, scella la déclaration qui vouait à l’infamie la mémoire du seul serviteur dont sa chancelante fortune n’eût pas découragé le zèle. Ne pouvant se détacher de cette scène sinistre, mon imagination se reportait sans cesse de la demeure ducale, envahie par les seigneurs révoltés, à la place voisine, sanglante arène des justices de tous les siècles, où la corde vint achever l’œuvre de la torture. J’étais peut-être moins ému par la mort violente de Landais que par l’oubli dans lequel reste ensevelie sa mémoire, et moins étonné de la cruauté de ses ennemis que de l’indifférence de ses compatriotes et du silence gardé autour de ce nom juridiquement flétri. En songeant qu’au malheur de succomber la nationalité bretonne avait joint celui de voir raconter ses dernières luttes par des écrivains étrangers ou antipathiques à sa cause, et que dans cette province la plume des historiographes français avait achevé l’œuvre de l’épée, je me suis demandé s’il n’y aurait point là une de ces injustices qui attendent une réparation. J’ai donc fouillé les monumens de notre histoire, et il m’a été facile de m’assurer que tous nos annalistes, en quelque siècle et dans quelque esprit qu’ils aient écrit, depuis les monarchiques bénédictins jusqu’aux écrivains dé-