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grès est encouragé avec plus d’efficacité; mais avant d’étudier une matière délicate, j’ai besoin de me rassurer en considérant ce que faisaient les anciens. Le détour est long, il n’est pas inutile. Platon, dans un de ses dialogues, fait parler ainsi Socrate : « J’aime à converser avec les vieillards. Comme ils nous ont précédés sur une route qu’il nous faudra parcourir, je m’informe auprès d’eux si elle est sûre ou dangereuse, rude ou agréable. » Nous ferons comme Socrate : nous interrogerons d’abord les anciens, c’est-à-dire les Grecs. Quand il s’agit d’art, comment ne pas tenir compte de ce qu’ils ont enseigné? Comment ne pas consulter leurs exemples? Les principes surtout, si l’on veut s’en tenir aux théories, apparaissent chez eux avec plus de simplicité, parce que leur génie lui-même n’était qu’une expression plus sublime de leur bon sens.


I.

Les modernes s’attribuent volontiers toutes les inventions. Ils oublient que trente siècles les ont précédés; ils oublient qu’il y a eu jadis des civilisations si fortes et si raffinées qu’elles ont connu non-seulement des splendeurs, mais des jouissances que l’humanité ne retrouvera peut-être jamais. C’est dans les arts surtout qu’il nous siérait d’être modestes, car l’antiquité, en nous léguant tant de chefs-d’œuvre que nous avons perdus, nous a laissé bien peu d’idées nouvelles à découvrir. Ainsi beaucoup de personnes qui vantent nos expositions solennelles en rapportent tout l’honneur au temps présent. D’autres, qui les condamnent, partagent la même erreur, puisque c’est au nom de l’antiquité qu’elles les condamnent. « Les Grecs, disent-elles, ne connaissaient ni les concours ni les musées. Ils ne travaillaient point dans le vide ni sans but. Leurs tableaux ou leurs statues étaient commandés pour une place déterminée. » Cela est vrai dans beaucoup de cas, mais il n’est pas moins vrai aussi que les Grecs ont eu comme nous des expositions. Leur exemple doit nous rabaisser, si l’on nous fait un mérite d’avoir inventé cet usage, nous absoudre, si l’on nous en fait un crime.

Je dois prouver ce que j’avance. Les faits sont en petit nombre, mais ils sont clairs. Ils ont une importance qui paraîtra d’autant plus grande, si l’on réfléchit que tous les détails sur l’art qui ont été recueillis avant l’ère chrétienne ont disparu. En vain Ictinus a composé un ouvrage sur le Parthénon, en vain Polémon a décrit en quatre livres les merveilles de l’Acropole d’Athènes, en vain les critiques athéniens ont multiplié leurs catalogues dont nous n’avons que les titres, en vain les archéologues alexandrins ont dressé d’ingénieux inventaires : tous ces trésors, destinés à la postérité, ont péri entre les mains du moyen âge. Il a fallu que Pline le naturaliste parlât de