Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/459

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sorber dans une muette et douloureuse méditation. Le château féodal, aujourd’hui solitaire, m’apparut resplendissant de feux et tout plein de bruit. Restaurateur de cette demeure élégante et sévère, François II régnait à Nantes, dominé par sa maîtresse, amusé par ses bouffons et perdant son beau duché aussi gaiement que Charles VII perdait son royaume. Une jeune princesse dont la douce figure portait la trace précoce des épreuves réservées à sa vie grandissait dans l’étude et la prière à côté de ce trône ducal déjà ruiné par la félonie, tandis que de son manoir de Plessis-lès-Tours Louis XI jetait sur cette enfant le regard de l’épervier qui guette une colombe. Parmi les hauts barons appelés durant l’enfance d’Anne de Bretagne à devenir ses premiers défenseurs, la France comptait déjà plus de pensionnaires que d’ennemis, car, quoique l’ordre de l’hermine fût suspendu sur leur poitrine, la plupart de ces seigneurs, déjà dotés dans le royaume de riches établissemens, attendaient avec impatience l’heure de passer des landes de la pauvre Armorique à la cour somptueuse du suzerain. Assuré du concours d’hommes puissans dont le principal souci était de profiter, en l’opérant eux-mêmes, d’une révolution réputée inévitable, Louis XI se préparait à faire valoir par la force les droits achetés par lui aux héritiers besoigneux de la maison de Penthièvre, droits dérisoires aux mains d’un autre, mais très redoutables dans les siennes.

L’heure suprême semblait donc avoir sonné, lorsqu’un homme élevé de la plus humble condition à la première charge de l’état se jeta résolument à la traverse des desseins de la France, servis par la trahison, et parvint à enrayer durant dix ans le mouvement qui précipitait la Bretagne vers sa chute. Louis XI s’étonna d’avoir à compter avec un politique aussi avisé que lui-même, et à sa mort la fille de ce prince se vit distancée par le fils d’un tailleur dans cet art des machinations que lui avait enseigné son père. La petite cour de Bretagne devint tout à coup le champ d’asile des mécontens conspirant contre la régence de Mme de Beaujeu, le quartier-général de tous les ennemis de la France, l’alliée de tous les cabinets en lutte avec elle. La main de la jeune princesse, déjà célébrée par les poètes comme la perle de son siècle, fut le prix montré de loin à qui porterait au royaume les coups les plus sensibles, et l’on vit tour à tour se mettre sur les rangs pour l’obtenir l’héritier du trône d’Angleterre, le premier prince du sang de France et Maximilien, roi des Romains, futur empereur d’Allemagne. Présens par eux-mêmes ou par leurs ambassadeurs dans le château de Nantes, devenu la plus animée des résidences royales, les plus grands princes de la chrétienté contribuèrent à faire un moment de cet état, à la veille du jour où il allait disparaître, le centre des plus importantes