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contrées du Danube, châtie ces princes barbares dont il a été le sujet, extermine les Ruges, et ramène en Italie les anciens protégés de saint Séverin. Il s’était fait préparer pour son retour un triomphe impérial; le triomphe de saint Séverin fut bien autrement grandiose. A la tête des colons fugitifs, aux premiers rangs de ce peuple tant de fois sauvé par son courage et que sa mémoire protégeait encore, s’avançait le char funéraire qui portait ses dépouilles mortelles. Dans un siècle où les aventuriers se remplaçaient si promptement les uns les autres, ils étaient rares, les hommes dont l’influence victorieuse se prolongeait au-delà du tombeau. Les saintes reliques furent déposées d’abord dans l’évêché de Feltre, puis cinq années après elles traversaient l’Italie entière au milieu des chants, des prières et des acclamations de tout un peuple. Le cortège s’arrêta près de Naples, sur les collines qui dominent Baia, non loin du palais où Romulus Augustule achevait sa vie épicurienne. Jamais enthousiasme plus unanime et plus pur n’avait transporté l’Italie. Si l’empire était mort, une vie nouvelle et meilleure faisait tressaillir l’humanité. Les peuples acclamaient le moine intrépide qui avait été jusqu’au dernier jour le défenseur de la patrie, et qui, après la disparition de l’empire, bien loin de désespérer du monde, avait crié à toutes les nations : « Chantez les louanges du Seigneur! »

Ici se termine la seconde partie de ce grand drame. La révolution conçue par Ricimer a été exécutée par Odoacre. L’empire est bien mort, malgré les fictions hypocrites derrière lesquelles se cache le roi d’Italie; que faut-il maintenant pour que les fictions disparaissent? Si une nation étrangère envahissait l’Italie, si une grande monarchie était fondée par cette race nouvelle, les conquérans auraient beau conserver maintes choses de l’administration romaine, on serait bien obligé de reconnaître que l’empire est détruit à jamais et que le moyen âge peut commencer. Tel fut le dénoûment de la trilogie et la fin de cette révolution immense. Le héros de cette dernière période est le grand Théodoric.

D’où venait Théodoric? Comment s’était-il préparé à son rôle? Par quelle série de transformations le farouche enfant des steppes orientales est-il devenu le plus grand personnage politique de son siècle et l’empereur bienfaisant du monde barbare? On ne s’occupe le plus souvent que de Théodoric vainqueur d’Odoacre, de Théodoric fondateur de la monarchie ostrogothique en Italie; la seconde moitié de sa vie, si glorieuse, si éclatante, a fait oublier la première. M. Amédée Thierry a pris plaisir à mettre en scène les prodigieux débuts du jeune prince ostrogoth. Il le suit d’année en année et presque de jour en jour. Aucun détail ne lui échappe, aucune péripétie ne le déroute. Il a interrogé tous les chroniqueurs, confronté