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donnèrent leur nom à l’année. L’aristocratie italienne, acceptant la fiction sur laquelle Odoacre fondait son autorité, ne dédaigna point de le servir. On vit figurer sur les listes consulaires les noms de Symmaque, de Boèce, d’Anicius Faustus… Cassiodore, père de celui qui fut ministre de Théodoric, remplit près d’Odoacre les charges de comte du domaine et de comte des largesses ; Cécina lui-même fut préfet du prétoire et lieutenant du roi dans la ville de Rome ; enfin le comte Piérius commanda sa garde palatine. » On voit que l’aspect de la société romaine avait bien peu changé. L’historien peut se demander en vérité ce qu’il y avait là de nouveau pour les contemporains d’Odoacre. Était-ce le mélange des Barbares et des Romains dans les fonctions de l’état ? Ce mélange existait depuis Théodose, et c’est pour cela que Zosime accuse ce prince d’avoir perdu l’empire. Était-ce l’absence d’un empereur ? On était habitué aux longs interrègnes, et d’ailleurs quand le césar s’appelait Sévère, Olybrius, Glycérius, peu importait qu’il fût absent ou présent. La seule chose nouvelle, c’est que les anciennes provinces, Gaule, Bretagne, Espagne, étaient définitivement séparées de l’empire, que des nations distinctes commençaient à vivre, et que l’Italie elle-même allait former un royaume à part. Les Romains si peu nombreux qui étaient restés fidèles aux souvenirs du passé pouvaient-ils regretter bien vivement certaines provinces, la Gaule par exemple, qui venaient d’être pour l’état une cause d’embarras, de guerres civiles et de sanglantes usurpations ? Si quelques hommes éprouvaient de tels sentimens, la foule était absolument indifférente. Toute l’habileté d’Odoacre consistait à entretenir cette idée que nulle révolution ne s’était accomplie. Il laissait croire que les deux empires étaient réunis, que l’empereur d’Orient était le maître, qu’on était revenu au temps de Constantin, et même il avait renvoyé à l’empereur Zénon tous les manteaux de pourpre des césars qu’on avait pu trouver dans les palais de Rome ou de Ravenne. La défroque d’Auguste et de Trajan était allée orner quelque musée de Constantinople. Quant aux trois derniers empereurs vivant encore, Glycérius, Julius Népos et Romulus Augustule, Odoacre s’en inquiétait moins que de ces vieux manteaux de pourpre. Les vêtemens impériaux pouvaient rappeler de grands noms ; les trois majestés déchues ne rappelaient que des hontes ou des désastres. D’ailleurs que pouvaient-ils tenter ? Glycérius était évêque à Salone ; Romulus Augustule, recevant une pension annuelle du roi d’Italie, vivait voluptueusement à Naples dans le château de Lucullus, et s’il sortait de son repos, s’il adressait quelque missive au sénat, c’était pour soutenir le gouvernement d’Odoacre, patrice et roi d’Italie au nom de l’empereur d’Orient. Julius Népos, il est vrai, n’était ni un évêque