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goths Boèce et Cassiodore. Trois phases très distinctes sont représentées par ces trois groupes de noms. Anthémius en face de Ricimer, c’est la dernière lutte du patriotisme romain ; saint Séverin en face d’Odoacre, c’est l’église aux entrailles maternelles, non pas l’église de la Rome impériale, mais l’église de l’humanité, prenant des mains défaillantes de l’empire le dépôt de la civilisation et le confiant sous l’invocation de Dieu aux mains purifiées du Barbare. Cassiodore et Boèce auprès de Théodoric, ce sont les Romains déjà transformés, continuant au péril de leur vie l’éducation des races du nord. Ils ferment le monde antique et ouvrent le moyen âge. Boèce sera le maître de Bède le vénérable, d’Eginhard, d’Alcuin, de tous les prédécesseurs des philosophes scolastiques, et Dante le placera dans le quatrième ciel, à côté Pierre Lombard, de Richard de Saint-Victor, d’Albert de Cologne et de saint Thomas d’Aquin.

Le 12 avril 467 (c’est la date où commence cette histoire), un prince de race impériale, un Romain d’Orient, Anthémius, arrière-neveu de Constantin et gendre de l’empereur Marcien, abordait au port de Classe, près de Ravenne, pour prendre possession de l’empire d’Occident. Toute une armée, composée de soldats orientaux, lui servait d’escorte. Était-ce l’invasion d’un conquérant ? Cette intervention de la politique de Constantinople dans les affaires occidentales annonçait-elle l’agonie suprême d’un empire où naguère encore Majorien avait relevé les espérances des gens de cœur ? Non, ce n’était pas un symptôme de mort, on pouvait y lire au contraire le signe d’un rajeunissement inattendu. L’Italie elle-même, se réveillant de sa torpeur, avait demandé un chef à l’Orient. Le sénat, courbé sous un Barbare, avait retrouvé un dernier reste de fierté romaine, et en face du Suève arrogant qui voulait prolonger l’interrègne pour détruire le trône, il avait osé dire à l’empereur d’Orient : « Le trône est vide, placez-y un homme de notre race. » Le Barbare contre lequel s’élevait cette protestation, si hardie pour une telle époque, est une des plus terribles figures du Ve siècle. Sa politique était profonde, et aucun crime ne lui coûta pour la réaliser. Tenir le trône en tutelle, y faire monter ses créatures, les sacrifier sans hésitation au premier signe de désobéissance, enfin rendre l’autorité de l’empereur inutile jusqu’à ce qu’elle devînt absolument impossible, voilà le plan que le Suève Ricimer avait conçu et qu’il poursuivit pendant plus de quinze ans avec une résolution inflexible. C’était un des chefs de cette aristocratie barbare qui rivalisait d’orgueil avec l’aristocratie de la vieille Rome, et qui peu à peu était devenue maîtresse de toutes les dignités militaires, laissant à la noblesse romaine toutes les fonctions civiles. Ne voyait-on point déjà, à Constantinople et à Rome, les jeunes nobles, chez qui se réveillaient les instincts belliqueux de