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nous avons été envahis, certes M. O’Connell n’y est pas disposé et je n’y suis pas plus disposé que lui ; mais ce qui vaut pour ce côté-ci des Pyrénées doit valoir pour l’autre, et, par une raison analogue, les Espagnols sont des Ibères et non des Celtes. Le second exemple d’éducation par la civilisation chez une race blanche se trouve dans les Finnois et Magyars, qui ne sont ni Aryens ni Ibères et qui ont fini par conquérir leur rang européen. Enfin, pour troisième exemple, je citerai les Sémites disséminés de toutes parts ; bien que leur origine remonte haut dans le temps et que leur histoire appartienne aux plus vieilles chroniques du genre humain, ils ont subi l’ascendant de la nationalité commune. Spinoza, auteur d’un puissant mouvement philosophique, et tant d’autres esprits célèbres témoignent qu’ils sont incorporés aussi dans la grande famille civilisatrice. De là on peut inférer que cette autre branche des Sémites, la nation arabe, depuis Mahomet la plus illustre de l’Orient, et qui, créant au moyen âge une renaissance anticipée, donna des lumières à l’Occident, deviendra, par une éducation issue de l’Europe, la rivale aussi bien que l’auxiliaire de l’Europe pour les vastes contrées où elle domine.

Dans les caractéristiques, j’ai quelque défiance des traits détachés, isolés, et je crains toujours qu’on ne les retourne, de sorte que, servant à deux fins, ils ne servent à aucune. M. O’Connell dit en parlant des Celtes que, leur point de vue étant social et non simplement national comme chez les Latins, ni simplement personnel comme chez les Teutons, l’espèce d’ambition qui leur est particulière se distingue le mieux par le nom de gloire. Soit, je ne contesterai point que la gloire ait pour les Celtes un attrait infini, et si Roland, dans la chanson qui porte son nom, a pour unique souci que

Male chanson de lui ne soit chantée,


il aura éprouvé les sentimens d’un vrai Celte, tout en parlant comme un Français du moyen âge ; mais ce que je contesterai, c’est qu’il y ait là rien qui puisse servir à caractériser soit les Celtes en général, soit les Gaulois en particulier. Ce noble sentiment, bien longtemps avant que Celtes ou Gaulois eussent fait bruit dans les annales du monde, a été chanté par le père de la poésie : Hector, prêt à combattre et demandant qu’on rende, s’il est vaincu, son corps à ses amis, se représente, s’il est vainqueur, la tombe du guerrier qui aura succombé sous son bras, les navires qui, en franchissant l’Hellespont, apercevront cette tombe et les voix qui en partiront pour nommer le héros, si bien que sa gloire ne périra jamais. Combien de fois, en lisant ces vers pleins d’une douceur ineffable, d’un long souci de l’avenir et d’une mélancolie cachée, ne me suis-je pas