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de Shakspeare est dans la profondeur de son intuition, qui constitue avec des rudimens légendaires ou historiques des portraits vivans et variés, comme Cuvier constitua avec des débris d’ossemens toute une faune éteinte.

Avec Macbeth s’ouvre une autre perspective. Voilà les âpres montagnes d’Écosse et ces thanes aussi âpres qu’elles. Macbeth n’est pas moins scélérat que Iago, lui qui assassine traîtreusement son roi et son hôte, et souille de cette abominable trahison le toit domestique. Le fond des passions est toujours et partout le même ; ici c’est l’ambition, comme tout à l’heure c’était la jalousie et la haine. La légende, curieuse à étudier, met sous la forme extérieure de sorcières provocatrices l’impulsion secrète qui pousse insensiblement Macbeth à la violation de sa foi et au trône. Là encore toute une vie se déroule, depuis la première conception du crime jusqu’aux violences tyranniques qui le suivent et au châtiment qui l’atteint. Les commencemens sont donnés par le récit légendaire ; Racine les aurait dédaignés, Shakspeare s’y attache. Racine n’y aurait vu qu’une passion universelle soumise à une situation particulière, Shakspeare y voit une situation particulière soumise à une passion universelle : renversement qui fait la différence essentielle du drame romantique et du drame classique. Racine n’éprouve aucun scrupule à mettre ses harmonieux accens et sa divine poésie dans les bouches les plus diverses nationalement, pourvu que ce soit à l’unisson de quelque corde fondamentale de l’âme ; Shakspeare a pour ce procédé une répugnance instinctive ; les beaux accens et la divine poésie n’éclatent chez lui qu’à la condition que ses personnages seront bien ceux que lui fournit la légende ou l’histoire, et qu’il saura étendre et développer dans le sens de l’organisation et de la vie.

C’est dans le même sens qu’Hamlet est développé : une vieille chronique danoise et un drame issu de la chronique. La légende d’Hamlet est au fond la même que celle d’Oreste : une épouse perfide et meurtrière, un parent qui trempe ses mains dans le sang de l’époux trompé, et un fils qui balance entre le devoir de venger un père et celui de respecter une mère. Dans le drame grec, les dieux font tout : ils poussent Oreste à punir les assassins ; puis, quand la fatalité est accomplie et que Clytemnestre a reçu la punition de son forfait d’une main qui n’aurait pas dû la lui infliger, ils apparaissent sous la forme de furies, poursuivent sans relâche ce fils meurtrier de sa mère, et enfin, l’absolvant après l’avoir ainsi excité et châtié, le réconcilient avec leurs autels sacrés et avec lui-même. Dans l’Oreste danois, comme tout diffère de ce monde hiératique des Hellènes, où à chaque impulsion humaine est substituée une divinité ! À part l’intervention surnaturelle qui apprend à Hamlet comment son père