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gulière beauté (car cette beauté est d’un monde duquel nous n’aurons jamais plus rien de semblable). Pour user pleinement de tout l’essor que donne un tel agrandissement, il faut admettre sans restriction qu’il n’y a dans l’histoire, c’est-à-dire dans l’évolution graduelle du genre humain, aucune intervention surnaturelle qui en dérange en bien ou en mal le cours, aucune solution en un point ou en un autre de l’enchaînement des causes et des effets, en un mot que cette évolution est un phénomène naturel et aussi soumis à ses lois propres que l’est l’évolution du chêne depuis le gland jusqu’au moment où il couvre le sol environnant de son vaste ombrage. C’est un des principes fondamentaux de la philosophie positive, et sans vouloir aucunement enrôler M. O’Connell dans l’école dont je fais partie, je puis dire qu’il admet ce principe et ajouter que tel qui l’admet est d’accord avec nous sur un point essentiel. Le reste, quelque important, quelque grave qu’il puisse être, est affaire de conséquences qui se dérouleront et d’avenir qui prononcera ; mais le point de partage est de reconnaître que tout dans ce que nous connaissons obéit, y compris l’évolution des sociétés et l’histoire, à un ordre qui, réglé par les propriétés des choses inanimées ou vivantes, sera nommé naturel par opposition à l’ordre surnaturel, principe des philosophies primordiales.

Cette conception essentielle, qui dès à présent divise le monde moderne en deux partis, et qui, mieux que toutes les opinions conservatrices ou révolutionnaires, les caractérise l’un et l’autre, n’est encore, dans sa plénitude du moins, du domaine mental que de peu de personnes. Combien en effet y en a-t-il d’un côté qui soient disposés à considérer les religions non comme une intervention divine, mais comme un développement naturel par lequel l’humanité réalise son idéal de moralité sociale, ainsi que dans l’art elle réalise son idéal de beauté ? Et d’un autre côté combien y en a-t-il dont la science ait assez agrandi et affermi l’esprit pour concevoir que, rien dans le monde ne pouvant être effectivement soustrait à la chaîne des lois universelles, l’histoire n’est qu’un cas particulier, bien que le plus complexe, de ce vaste enchaînement ? Heureux ceux qui, dans l’état troublé des sociétés civilisées, sont arrivés à ce point culminant de la pensée philosophique, gage des réorganisations futures ! Heureux ceux-là, dis-je sans hésiter, car je ressens la satisfaction d’y être, sans ressentir l’orgueil d’avoir été celui qui y a conduit. M. O’Connell y est aussi parvenu, et je l’y rencontre. Là est entre nous une concorde fondamentale, si bien que, sur les déductions ultérieures, nous pouvons être en discussion sans être en division, et après les douteuses excursions revenir au terrain solide d’où nous sommes partis. C’est qu’en effet difficile et labo-