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sous un jour nouveau à travers les enthousiastes panégyriques de son jeune adorateur. Elle lui avait à peu près engagé sa foi, et il n’attendait plus, pour la demander à ses parens, que le mariage, déjà convenu, d’une sœur aînée avec un jeune lord dont l’influence, mise au service de son futur beau-frère, lui ouvrirait de nouvelles chances d’avenir, et le rendrait un « parti plus sortable » pour la belle et coquette Rosa Glynne. Tout ceci me fut conté pendant le long a parte que nous ménageait une longue partie de whist où ma mère, son mari et M. Wroughton étaient engagés avec un de nos voisins de campagne. Il m’arriva une ou deux fois de rencontrer le regard d’Owen Wyndham obliquement dirigé de notre côté, et une pensée importune me fit croire un instant qu’il suivait de l’œil, avec une complaisance ironique, le succès de quelque mystérieuse combinaison; mais je chassai comme une obsession du mauvais esprit cette idée sinistre : elle eût troublé le plaisir que je prenais à écouter ce joli roman d’amour que me racontait si bien, avec tant de feu, tant de passion, un accent si véridique, l’aimable enfant qui venait de m’adopter pour confidente, et qui, du plus grand sérieux, me demandait déjà conseil sur les difficultés de sa délicate entreprise.

A l’âge que nous avions tous deux, on s’entend si vite et si bien! la confiance est si naturelle, et l’antipathie si difficile ! Toujours solitaire, toujours repliée sur moi-même, j’éprouvais sans m’en rendre compte une telle soif d’affection mutuelle, d’épanouissement cordial, de dévouement réciproque! Tout cela m’arrivait à la fois, et je demeurais en quelque sorte éblouie, dans mon heureuse inexpérience, par ce rayon lumineux qui semblait déchirer comme un voile de ténèbres le sombre avenir auquel je m’étais préparée. La vie, comme le désert, a ses mirages; heureux ceux qui meurent en face de l’oasis chimérique, des palmiers rêvés, en face de ces sables arides où le regard s’abreuve, où la pensée plonge comme en un lac limpide et frais! J’ai cessé de plaindre, et depuis longtemps déjà, le prophète hébreu tombant en vue de la terre de promesse ; s’il en eût franchi la frontière, nous savons ce qu’il aurait trouvé.


IV.

Les journées qui suivirent l’arrivée de Hugh Wyndham à Bampton-Chase furent presque toutes occupées à parcourir nos bois, en compagnie de M. Henry Wroughton, pour y chercher des sujets d’étude et travailler sous l’inspiration et le regard de cet artiste déjà renommé. Hugh et lui formaient ensemble un contraste piquant. La timidité, la réserve du peintre faisaient valoir la vivacité communicative, la franchise de l’aimable jeune homme qui s’intitulait