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vais rencontrer, dans un rayon de bien des milles, aucune personne... — il n’acheva pas le compliment, et je lui en sus gré. — Quant au portrait dont vous parlez, il ne rend qu’imparfaitement votre physionomie si sévère !...

— Sévère! Vous trouvez?... Miss Sherer m’avait dit que vous aviez favorablement jugé, comme peinture du moins, cet ouvrage d’un artiste étranger... Je sais, ajoutai-je, que vous l’avez gardé quelques jours dans votre atelier...

— Dans mon atelier? interrompit-il d’un air étonné; mais je ne m’arrêtai pas à cette exclamation.

— Dans cet atelier, repris-je, que j’ai visité avec tant d’intérêt avant notre départ pour la campagne...

Ici un léger sourire passa, presque inaperçu, au coin des lèvres du jeune peintre. Je ne sais pourquoi ce sourire, que je ne m’expliquais point, me déconcerta de nouveau. Comme je lui exprimais, non sans quelque timidité, l’espérance que je pourrais, durant sa courte visite, lui demander quelques conseils : — Mes études de dessin, ajoutai-je, me sont d’autant plus précieuses, que tout autre intérêt manque maintenant à ma vie.

Je voulais indiquer par là le vide que faisait autour de moi ma séparation d’avec miss Sherer; mais M. Wroughton, qui aurait du saisir à demi-mot une allusion pareille, sembla ne point me comprendre. — Mes conseils, dit-il, sont aux ordres de miss Lee, qui les trouvera sans doute bien peu dignes du prix qu’elle semble y attacher; mais ne pourrais-je savoir comment il se fait que la pratique d’un art de simple agrément soit devenue sa principale préoccupation, et, si je dois l’en croire, l’unique intérêt de son existence?

— Cette question m’étonne de votre part, répondis-je. Miss Sherer n’a pu vous laisser ignorer en quoi ma jeunesse ne ressemble guère à celle des autres, et dans quel isolement je me trouve depuis que, déjà privée de ma sœur, j’ai perdu ma meilleure, ma seule amie.

— Cet isolement dont vous vous plaignez n’est-il donc pas tout à fait volontaire?

— Pas précisément. D’impérieuses nécessités m’en font une loi.

— Est-ce à dire qu’on refuse de vous mener dans le monde?...

— Je n’aurais pu y aller qu’à des conditions inacceptables.

— Qui se permettait de vous les imposer?

— On a déjà du vous le dire... M. Wyndham voulait me marier au cadet de ses frères... Mon refus d’aller au bal où je devais connaître ce jeune homme...

— Ah! j’y suis!... Le bal de mistress Stratton?... reprit mon interlocuteur, dont les yeux exprimaient en même temps le plus vif