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drai que je pris des leçons de latin, voire des leçons de grec. On avait aisément trouvé pour me les donner un bon vieux pédant dont le seul aspect justifiait la présence auprès d’une élève de mon sexe et de mon âge. Pour l’italien et le dessin, je travaillais avec miss Sherer et sous sa direction. Elle avait comme peintre un certain talent, et ce talent se développait depuis quelque temps de manière à m’étonner. Ma surprise cessa bientôt : elle me confia qu’elle était engagée à un jeune artiste dont la réputation alors naissante est maintenant consacrée. Elle n’eût pas mieux demandé que de me mettre à même de profiter comme elle de ses excellens conseils; mais un scrupule de délicatesse la retint toujours. Elle se contentait de lui soumettre de temps en temps mes travaux les moins imparfaits, qu’elle me rapportait revus et corrigés par ce jeune professeur, aujourd’hui devenu un maître. Une fois ou deux même, — à des jours marqués où nous étions bien assurées de ne pas le trouver chez lui, — nous allâmes ensemble visiter l’atelier d’Henri Wroughton, ce prétendu dont elle était si fière. Ce furent mes plus grandes audaces pendant les trois mémorables années dont je viens en quelques lignes de résumer les annales.

Je n’avais pas, à proprement parler, d’autre amie que cette chère governess, depuis qu’Eugénie s’était trouvée séparée de moi, plutôt par le froid accueil de mes parens que par les devoirs, très assujettissans d’ailleurs, qui lui étaient imposés chez lady Dashwood. On peut donc apprécier le chagrin avec lequel je voyais approcher le moment de notre séparation, et cependant je ne pouvais ni exiger ni attendre qu’elle ajournât pour moi la réalisation de ses plus chères espérances. La saison finissait; nous allions quitter Londres pour plusieurs mois; elle devait, avant l’époque fixée pour notre retour, devenir la femme d’Henri Wroughton. Les préparatifs de son entrée en ménage exigeaient sa présence à la ville : il était impossible de songer à l’emmener.

Je partis donc seule, c’est-à-dire avec M. et mistress Wyndham, pour une belle résidence dont les Stratton, voyageant à l’étranger, nous avaient cédé l’usage à un prix presque nominal, sous la seule condition d’y tolérer la présence de quelques ouvriers chargés d’y parachever la construction d’un pavillon récemment ajouté au château. Il était aussi convenu que nous donnerions l’hospitalité à un artiste chargé de décorer une salle de réception comprise dans le nouveau bâtiment. Mes parens, avant de souscrire à cette dernière clause, avaient voulu savoir de tout point à quoi elle les engageait. Ils étaient d’une extrême rigueur, je l’avais remarqué plus d’une fois, quand il s’agissait de laisser pénétrer chez eux, de mettre par conséquent en rapport avec moi, quiconque, par son âge ou sa posi-