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qui pouvait grandir le Barbare, et son esprit inquiet ne rêvait qu’aventures et conquêtes.

Aussi, lorsque les émissaires de Rufin allèrent le trouver dans son cantonnement et lui offrir l’argent dont il aurait besoin pour exécuter les desseins du ministre, Alaric tressaillit, comme un lion que la vue d’une proie vient éveiller dans sa tanière. Le marché fut aisément conclu entre ces deux hommes : on verra plus tard quel il était. Aussitôt sa parole donnée, Alaric commença à se plaindre plus aigrement que jamais des injustices de l’empereur défunt, et à parler de la réparation que lui devait le fils de Théodose, tant pour lui-même que pour son peuple. Pendant que ces plaintes et ces menaces animaient les Goths dans leurs campemens, un mouvement inaccoutumé de Barbares étrangers à cette race se faisait remarquer sur la rive gauche du Bas-Danube, dont le lit, durci par les gelées de l’hiver, présentait alors un plancher solide. Des bandes nombreuses de Huns, d’Alains et de Sarmates venaient tenter avec leurs chariots, soit de jour, soit de nuit, le passage du fleuve, et ils disaient qu’Alaric les appelait, qu’ils allaient rejoindre les Visigoths de Mésie pour une expédition qui leur rapporterait un grand butin. Une multitude de pillards plus sauvages les uns que les autres vint ainsi se ranger sous le drapeau des Goths. Bientôt Alaric donna le signal du départ. Ses préparatifs s’étaient faits avec une hâte extrême sous les yeux des provinciaux étonnés, et avant qu’aucune force romaine n’eût eu le temps d’occuper l’Hémus; ainsi l’avait ordonné Rufin, pour que la surprise fût plus complète, la défense plus impossible, la frayeur plus vive à Constantinople. Après avoir franchi le pas de Sucques sans trop s’arrêter à piller, Alaric s’abattit sur la Thrace. S’avançant alors de quelques journées dans les riches campagnes qui conduisaient à la ville impériale, il y fit halte avec le gros de son armée, et envoya l’avant-garde battre le pays jusqu’aux portes de Constantinople, qu’il voulait non assiéger, mais effrayer. Exécuteurs fidèles de ses ordres, les éclaireurs goths firent beaucoup de ravages et de bruit, enlevèrent le bétail, tuèrent les laboureurs, insultèrent les femmes, et poussèrent l’insolence jusqu’à venir lancer des flèches dans la ville impériale par-dessus la muraille. Des bandes se jetèrent du côté du port comme pour l’attaquer; d’autres semblaient au contraire vouloir tenter l’assaut du côté de la plaine. On se persuada dans l’intérieur de Constantinople que ces hardis coureurs ne précédaient l’armée ennemie que de peu d’heures seulement, et l’épouvante gagna tous les habitans, grands ou petits.

Des efforts cependant furent tentés par des hommes dignes de ce nom pour opposer quelque résistance. Les uns se rendirent au port pour enlever les barques à l’ancre, et les attacher ensemble en ma-