Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/273

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’idée d’un départ que l’on préparait. De là au souvenir des paroles que ma mère avait prononcées, des prières qu’elle adressait à M. Wyndham pour qu’il l’emmenât avec lui, mon esprit ne fit pour ainsi dire qu’un seul bond, et avant d’avoir réfléchi à l’indiscrétion périlleuse dont j’allais me rendre coupable, je demandai à ma mère si réellement elle avait le projet de nous quitter.

Ma mère, qui ne me savait pas réveillée, tourna brusquement sur elle-même à cette apostrophe inattendue. — Vous quitter? reprit-elle... Et qui a pu vous mettre en tête que je voulusse vous quitter?

— Vous le disiez ce matin à M. Wyndham, repris-je dans mon effroyable naïveté.

Le front de ma mère se plissa; elle me jeta un regard que, plus âgée, j’aurais vu chargé de haine. — Vous êtes donc toujours une espionne? me dit-elle d’un ton sévère... J’aurai donc toujours à rougir de vos indiscrétions?... Vous vous cachez pour écouter ce que vous ne sauriez comprendre, ce qui n’est pas destiné à vos oreilles. Les enfans qui se conduisent ainsi n’arrivent qu’à se tromper et à tromper les autres... Voulez-vous savoir ce que je disais à M. Wyndham?... Je lui disais que, si votre père ne se rétablissait point, j’irais à Bransby, chez votre oncle, lui demander assistance. Maintenant c’est votre oncle qui viendra ici... Prenez garde, Alswitha, vous parlez trop, pour une personne qui entend si mal.

Ces reproches m’étaient doux, en ce qu’ils m’ôtaient la crainte d’être abandonnée comme ces pauvres enfans du bûcheron dont les contes m’avaient si souvent fait partager la détresse; mais le mot d’espionne m’avait frappée au cœur. J’aurais pu expliquer comment je n’avais mis aucune intention coupable à me dissimuler dans le petit refuge où étaient venues me chercher les paroles échangées entre ma mère et M. Wyndham; mais aurait-on voulu me croire? Pour toute excuse, je pleurai. Ma mère, au lieu d’insister alors sur ses reproches, me consola par quelques bonnes paroles. « Elle était certaine que je ne recommencerais plus. » Cette bonté inaccoutumée ajouta quelque chose à mon humiliation, et je me promis de ne répéter à personne ce qu’il pourrait m’arriver d’entendre çà et là. Ma mère me donna une nouvelle preuve d’affection en m’accordant l’honneur, jusqu’alors réservé à Emmeline, de passer la nuit dans son lit, et je me rappelle avec quel sentiment de vénération reconnaissante je pris place dans ce lit qui me semblait immense, sous ces rideaux dont la splendeur m’éblouissait. Je fus longtemps, bien longtemps à m’y endormir : j’entendis sonner les douze coups de minuit, l’œil encore fixé sur la porte lumineuse du boudoir où ma mère s’était retirée, et où elle veilla bien plus tard sans aucun doute.