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Il y avait entre les Orientaux et les Occidentaux une question brûlante, celle de l’Illyrie orientale : Rufin s’en empara comme d’un bon moyen d’établir sa popularité à Constantinople et sa nécessité au palais. On pouvait appréhender, de la part des Occidentaux, quelque tentative de revendication à main armée de ces belles provinces; il exagéra à plaisir ces craintes et ce danger, pressant Arcadius de faire occuper militairement la Thessalie ou l’Épire, avant que Stilicon fût en mesure de les occuper lui-même. Pour cela il fallait des troupes et de l’argent, et Arcadius n’en avait point, l’élite de l’armée orientale ayant suivi Théodose en Italie, et le trésor de Constantinople, emporté par l’empereur défunt, se trouvant, comme les légions byzantines, sous la main du régent d’Occident. La moitié des fonds laissés par Théodose appartenait sans contestation possible à l’empereur d’Orient : Rufin la réclama au nom de son maître, de même que le renvoi des troupes orientales. Arcadius écrivit lui-même à son frère avec vivacité : ses lettres, comme celles de son ministre, restèrent à peu près sans réponse. Stilicon déguisait son refus sous des défaites dérisoires : pressé enfin de s’expliquer, il déclara que la situation de l’Italie ne lui permettait pas encore de diviser ses forces, mais que, lorsqu’il en serait temps, il irait lui-même à Constantinople remettre à l’empereur, en main propre, sa part d’argent et de soldats, et s’acquitter des engagemens pris par lui en face de Théodose mourant pour la protection de ses deux fils. C’était précisément ce que redoutait Arcadius, qui ne voulait pas plus de tuteur en Occident qu’en Orient; c’était aussi ce que craignait Rufin, qui voyait Stilicon arriver en triomphateur à Constantinople, maître du trésor, des troupes et bientôt de l’empereur, le chassant honteusement lui-même pour étendre sa suprématie aux deux moitiés de l’empire. À cette seule pensée il frémissait de rage. Un seul parti lui restait : précipiter les choses en Orient, tandis que des difficultés graves retenaient encore Stilicon en Italie, et il se proposa de créer tant d’embarras et de périls autour d’Arcadius, que souverain et sujets fussent obligés de se jeter dans ses bras, en le proclamant leur sauveur.

La frontière de l’empire d’Orient, entre les Palus-Méotides et la Mer-Caspienne, avait pour voisins des peuples barbares aisément contenus par les garnisons romaines, toutes faibles qu’elles fussent. Ces peuples ou plutôt ces tribus appartenaient à la grande confédération des Huns, qui, ayant son siège sur l’Oural, atteignait déjà en Occident les bords du Pruth et du Danube. Les hordes restées vers le Caucase troublaient de ce côté la frontière romaine sans avoir osé la dépasser. Rufin leur donna cette audace en retirant subitement les postes romains, et excitant sous main les chefs barbares par de l’argent et par l’attrait du pillage. Quelques bandes pénétrèrent