Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il y a quelque temps, une conversation avec Capo d’Istria; il me dit entre autres choses : Votre prince est placé; il pourra monter à cheval sur l’Italie. J’ai cru cette phrase digne d’être rapportée. « Les événemens actuels, les annexions successives au Piémont de l’Italie centrale et de l’Italie méridionale conservent à cette phrase un singulier à-propos. De plus, lorsqu’on songe à l’importance dont le parti clérical jouissait en Savoie avant l’annexion française de 1860, il est assez instructif de rapporter ce passage de la correspondance de Joseph de Maistre : « Je viens de lire dans un papier anglais que « nos commissaires pour la fixation des limites avec Genève ont refusé de terminer dès qu’ils ont vu la restitution de la Savoie, et qu’ils ont d’ailleurs exigé en faveur des prêtres savoyards (pour le terrain cédé à Genève) des privilèges si exagérés au-delà de ce qui avait été fixé au congrès, et si conformes aux maximes ultramontaines, que les prêtres en devenaient absolument indépendans du gouvernement. » Qui jamais a entendu parler de maximes ultramontaines en Savoie? Et en Italie même, qui jamais a entendu dire qu’un prêtre est indépendant du souverain? Je voudrais bien connaître l’honnête homme qui écrit à Londres ces criminelles sottises. »

Nous nous retrouvons ici avec le Joseph de Maistre généralement connu, avec l’auteur du Pape et des Soirées de Saint-Pétersbourg. Rien n’est plus curieux que ses secrets et discrets efforts pour acclimater le catholicisme dans la société russe. Il écrit un mémoire en faveur des jésuites, qu’il laisse montrer au tsar, tout en faisant « les objections convenables sur ce qu’il ne lui convenait pas de se mêler des affaires du pays. » Joseph de Maistre observait avec inquiétude l’empereur Alexandre se laissant séduire « par les idées modernes, et surtout par la philosophie allemande, qui est le poison de la Russie. » Il entreprit une sorte de conversion. Son mémoire s’enfla, et devint un ouvrage considérable intitulé Quatre chapitres sur la Russie : 1° la liberté, 2° la science, 3° la religion, 4° l’illuminisme. Bref, le collège des jésuites de Polock fut érigé en académie avec tous les privilèges des universités de l’empire, dans une indépendance absolue de ces dernières : « C’est une assez belle victoire remportée sur le mauvais principe, car je ne connais pas d’institution plus monarchique et plus forte que celle des jésuites. » — Que pensez-vous des jésuites? demanda un peu plus tard Alexandre lui-même à Joseph de Maistre. — « Nul doute sur ce point. Non-seulement je les crois utiles, mais nécessaires à cette époque, car vous avez dans ce pays, comme ailleurs, une grande secte à combattre; or une secte ne peut être combattue avantageusement que par un corps. Tout individu est trop faible, et le véritable ennemi de l’exécrable illuminé, c’est le jésuite. » Joseph de Maistre rassure ensuite le tsar sur l’influence que peuvent acquérir les jésuites : « Toutes les accusations vagues d’intrigues politiques ne signifient rien. Elles ne sont mises en avant que par des gens qui ne savent pas gouverner ou qui ne veulent pas qu’on gouverne. Je m’en fie à Frédéric II : ce n’est pas le père Le Tellier qui avait tort, c’est Louis XIV; j’aurais bien su me servir des jésuites et les empêcher de cabaler….. On a dit aux princes : Les jésuites sont une puissance, et les princes sont tombés malheureusement dans ce piège ; mais le fait est que sans puissance dans l’état, sans corps, sans sociétés, sans institutions fortes bien organisées, le