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mariage qu’on lui proposait qu’un expédient politique, y consentit de guerre lasse dans un de ses momens de demi-somnolence. Rufin était au comble de la joie; mais il avait compté sans les eunuques du palais, surtout sans Eutrope, son mortel et constant adversaire. Une affaire importante l’ayant appelé vers cette époque, et fort inopportunément, dans la capitale de la Syrie, les eunuques mirent le temps à profit pour rompre les négociations commencées.

Il y avait à Constantinople, dans une maison ennemie de Rufin, et pour cette raison fréquentée par Eutrope, une orpheline d’une rare beauté, fille d’un général frank, fort en faveur jadis à la cour de Byzance, Bald ou Balth, que les Romains appelaient Bautho. Ce Barbare, un des plus honnêtes et des plus braves qui eussent jamais servi l’empire, après avoir traversé tous les honneurs, y compris le consulat, qu’il partagea en 385 avec Arcadius, déjà auguste, avait été enlevé par une mort prématurée, laissant après lui sans soutien cette enfant, qu’un de ses amis avait recueillie et élevait dans sa maison. L’ami de Bautho n’était autre que le fils de ce maître des milices, Promotus, que Rufin avait livré si traîtreusement aux Barbares pour se venger d’un soufflet, et le fils, comme on peut le croire, n’inspirait pas à sa pupille des sentimens bien affectueux pour l’assassin de son père. Cette circonstance détermina vraisemblablement Eutrope à la choisir de préférence à d’autres, qui pouvaient l’égaler ou la surpasser en beauté. Un portrait laissé, comme par hasard, sous les yeux d’Arcadius piqua la curiosité du jeune homme; il voulut savoir quelle était cette image dont il ne pouvait détacher ses regards. Peu à peu les récits d’Eutrope allumèrent son imagination; il sentit naître en lui des désirs inconnus, et les eunuques n’eurent pas de peine à lui persuader qu’une telle impératrice siérait mieux au trône des césars que la petite fille du cordonnier d’Eause.

L’intrigue s’ourdit avec tant de mystère que Rufin, à son retour de Syrie, n’en soupçonna rien; il resta dans la plus complète sécurité, comptant sur le mariage de sa fille, et pressant Arcadius d’en fixer l’époque. Formé par les leçons des eunuques, ses maîtres, celui-ci parvint à endormir complètement son ministre, pendant que des indiscrétions calculées, des commentaires habilement semés sur le futur mariage, animaient contre celui-ci les habitans de Constantinople. Cette audace du parvenu de vouloir mêler son sang au sang de Théodose parut à tout le monde le comble de l’injure pour le jeune auguste, le comble de l’insolence vis-à-vis de l’empire; on plaignait Arcadius, dont on s’exagérait encore la faiblesse, et l’on maudissait l’indigne violence exercée par un tuteur sur son pupille, car nul ne croyait ce mariage librement accepté par le prince. La population de la ville se trouvait donc dans une assez vive agitation, lorsque, le 27 avril 395, l’eunuque Eutrope tira de la garde--