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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 octobre 1860.

« On ne va jamais si loin, disait Cromwell, que lorsqu’on ne sait pas où l’on va. » C’est une des plus justes saillies de mâle bon sens qui soient parties des lèvres de l’homme « qui ne laissait rien à la fortune de ce qu’il pouvait lui ôter par conseil et par prévoyance. » Nous sommes, quant à nous, les témoins les plus récens et les plus frais de la vérité de cette parole magistrale. Voici bientôt deux ans, depuis le commencement de la question italienne, que nous marchons sans savoir où nous allons. Nous avons fait bien du chemin. La route parcourue a de quoi étonner même ceux que réjouit l’étape présente. Sommes-nous au bout ? Comme nous continuons à marcher dans la même ignorance, à la queue des événemens, il est probable que nous irons loin encore.

Le moment est cependant favorable pour mesurer d’un coup d’œil rapide le chemin accompli par chacun en Europe dans ces deux années. En effet, tout le monde aujourd’hui semble se recueillir et se préparer instinctivement à des mouvemens nouveaux. La France elle-même, qui a donné le branle au début, se tait, regarde et attend. Elle était partie pour une confédération italienne, elle est arrivée à l’Italie unifiée. Elle annonçait à la papauté un nouveau lustre en lui promettant la présidence de la confédération italienne, et elle assiste à la destruction du pouvoir temporel du pape. Instruite par l’expérience et devenue plus modeste dans ses espérances, nous ne savons si aujourd’hui elle croirait pouvoir garantir pour longtemps encore la présence du souverain pontife à Rome. L’Autriche oublie d’être fière et apprend à être sensée : elle ne répond pas aux provocations et cherche sa régénération dans une réforme libérale. La Prusse cesse d’être envieuse et querelleuse, et tend la main à la cour de Vienne. La Russie devient généreuse : l’empereur Alexandre pardonne à l’empereur François-Joseph. Varsovie voit un congrès de souverains. Le roi Victor-Emmanuel est à la