Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/223

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

théâtre pour leur activité. Les professeurs chassés par le dernier roi de Hanovre ont obtenu ailleurs des chaires où leur voix n’a eu que plus de retentissement. Chaque jour, on entend parler de pareilles migrations, et tel prince nourri des idées les plus rétrogrades se fera un plaisir d’accueillir un bel-esprit mécontent pour obtenir la réputation briguée d’un Mécène. Les partis allemands ont jusqu’ici peu profité des facilités que leur présente la forme fédérale pour étendre et organiser leur action. Les seuls qui aient une véritable vitalité sont les partis sortis des événemens de 1848 ; mais leur action politique est en quelque sorte bornée à la Prusse, et ils envisagent surtout les affaires générales de la confédération dans les rapports qu’elles peuvent avoir avec cette monarchie. Le parti de la résistance en Prusse, bien connu sous le nom de parti de la croix, demande le retour pur et simple aux erremens du ministère de M. de Manteuffel. Enfermé dans la chambre des seigneurs comme dans une forteresse, il a donné à l’Allemagne le triste spectacle de l’opposition la plus déraisonnable à toutes les idées libérales : cette chambre est animée des préjugés les plus étroits, décidée à résister à toutes les réformes, enflammée d’un orgueil qui faisait dire au docteur Stahl, le coryphée le plus important, avec le général de Gerlach, du parti de la croix : « La chambre des seigneurs peut être brisée, mais ne peut plier. » Elle a mis le comble à son impopularité en rejetant une loi qui soumettait à l’impôt foncier les propriétés seigneuriales, qui en sont encore exemptes : 11,650,898 hectares de terre demeurent encore soustraits, en Prusse, aux charges communes, et la loi repoussée par les seigneurs aurait fait rentrer annuellement dans le trésor plus de 4 millions de francs, bien que le ministère eût la faiblesse d’offrir une indemnité pour le rachat de l’exemption! En maintenant un privilège exorbitant en opposition avec tous les principes modernes, l’aristocratie prussienne séparait sa cause de celle du peuple, et de toutes parts l’opinion publique a poussé le gouvernement à prendre des mesures énergiques pour triompher d’une opposition intolérable. Les uns invitaient hardiment le prince-régent à se débarrasser d’un obstacle incommode par un coup d’état, les autres à modifier l’esprit de la chambre haute par une fournée de pairs assez nombreuse pour déplacer la majorité. En nommant récemment dix-huit nouveaux pairs, le prince vient enfin de déférer à ce dernier vœu.

Le parti de la croix a cherché à reconquérir quelque influence en appuyant de tout son pouvoir les mesures adoptées par le gouvernement prussien pour augmenter ses ressources militaires. La chambre des seigneurs a souscrit avec empressement sur ce point à toutes les demandes du ministère, tandis que la chambre des députés a opposé quelque résistance à la réforme de l’armée, jugée