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« Je dis au cardinal, rapporte-t-il dans sa relation, que votre majesté n’aurait jamais dû s’attendre à un coup de cette sorte en temps de paix et sans déclaration de guerre, surtout de la part du roi d’Espagne, son gendre, son allié, et tellement son ami que non-seulement votre majesté lui avait fait confidence des projets les plus essentiels touchant les intérêts communs des deux couronnes, mais encore qu’elle avait déclaré être prête à courir la fortune de sa majesté catholique elle-même... » Le cardinal laissa dire le comte de Castellar, accepta une rupture devenue inévitable, et en attendant l’invasion de l’île s’accomplissait. L’armée débarquée somma Palerme, qui se rendit, sauf la citadelle. La plus grande partie de la noblesse, les députés de la ville accoururent au camp du marquis de Leyde, et offrirent de se soumettre au roi catholique à la condition que leurs privilèges seraient confirmés. De Palerme, on marcha sur Messine : une force d’infanterie alla aborder par mer entre le Phare et Milazzo, tandis que la cavalerie allait au même but par terre. Alors comme aujourd’hui, Messine était le point le plus difficile à emporter. Il y avait dans la ville une garnison piémontaise de plus de deux mille hommes. La vue de la flotte espagnole suffit pour provoquer un soulèvement dans le peuple et contraindre les Piémontais à se réfugier dans la citadelle, où ils se disposèrent à soutenir un siège. En réalité, les Siciliens étaient favorables à l’entreprise et regrettaient leurs anciens maîtres. La ville de Catane proclama le roi Philippe, s’empara du château et retint la garnison prisonnière. Des Siciliens se joignaient aux Espagnols et poursuivaient les Piémontais, qu’on n’aimait pas. En peu de temps, il ne restait que les places principales, Messine, Milazzo, Syracuse, au pouvoir des soldats de Victor-Amédée ou plutôt des impériaux, accourus bientôt de Naples pour prendre part à une guerre dont ils devaient en définitive recueillir l’avantage.

De telles entreprises ont besoin du succès et même souvent d’un prompt succès. Le malheur d’Alberoni fut que cette guerre se prolongea plus qu’il ne l’avait espéré, ce qui laissait tout en suspens, — et que ce coup de politique audacieuse était une violence trop ouvertement faite au système délibéré et fixé par les trois principaux cabinets européens. Les Espagnols eurent encore de brillantes journées en Sicile, ils battirent vaillamment les impériaux; mais ils gagnaient des victoires stériles, ils avançaient lentement, et les avantages mêmes qu’ils avaient sur terre étaient balancés par un cruel revers maritime. L’Angleterre en effet n’avait garde de laisser échapper cette occasion de frapper la puissance navale renaissante de l’Espagne. L’amiral Byng, errant toujours dans les eaux de Naples et prétextant la neutralité de l’Italie violée par l’invasion de la Si-