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matie ? On le sut bientôt. A la fin de juillet 1717, une escadre espagnole partait de Barcelone; elle se composait de douze vaisseaux de guerre et de cent bâtimens de transport. Près de dix mille hommes d’infanterie et six cents chevaux étaient à bord, sous les ordres du marquis de Leyde, qui commandait l’expédition. Ces forces allaient tout simplement conquérir la Sardaigne, qui était à l’empereur depuis la paix d’Utrecht. L’expédition une fois lancée, Alberoni répandit en Europe un manifeste où il énumérait tous les griefs de la cour de Madrid contre l’empereur, ajoutant que d’ailleurs la guerre n’avait jamais cessé entre l’Espagne et l’empire. Au mois d’août, quelques jours après que l’escadre avait quitté Barcelone, la conquête de l’île de Sardaigne était achevée. L’Europe fut dans un grand étonnement et dans une exaspération singulière quand elle apprit que les Espagnols avaient débarqué en Sardaigne. Le roi d’Espagne était un impie, et son ministre un vrai brigand pour avoir assailli sans déclaration de guerre les possessions d’un souverain dont les armées étaient en ce moment à se battre contre les Turcs. Le pape Clément XI se plaignit fort d’avoir été pris pour dupe lorsqu’il s’était laissé persuader que l’Espagne armait contre les Turcs, et il regrettait le chapeau de cardinal qu’il avait donné. L’empereur Charles VI jurait de se venger. Alberoni riait, voyant déjà le succès venir à lui. « Aujourd’hui ils me maudissent parce que l’île n’est pas tout à fait mienne, disait-il avec son accommodant scepticisme; ils me loueront quand tout sera fini, » En peu de jours, on l’a vu, tout était fini, du moins pour le moment, et le drapeau de l’Espagne flottait de nouveau sur cette île, où il avait flotté si longtemps, où la domination espagnole a laissé des traces qui vivent encore aujourd’hui.

Ce fut le premier coup de l’entreprenante audace d’Alberoni, ce ne fut pas le dernier, l’Europe revenait à peine de son étonnement que l’Espagne armait de nouveau, et cette fois dans de plus grandes proportions. L’impétueux Italien ne s’était pas jeté à travers les combinaisons des cabinets et n’avait pas enlevé la Sardaigne d’un coup de main pour s’arrêter en route. Ce n’était que le commencement d’une campagne qui réservait d’autres surprises. Les ministres de France et d’Angleterre voulurent faire des remontrances; le cardinal répondit lestement que l’Espagne n’avait d’autre idée que de tenir en respect la cour de Vienne au cas où celle-ci voudrait lui faire des querelles d’Allemand. C’est alors qu’éclata la triple alliance qui semblait destinée à intimider toutes les velléités belliqueuses par une puissante démonstration diplomatique, et qui faisait d’ailleurs une certaine part à l’ambition de la reine d’Espagne en promettant à ses enfans Parme et la Toscane. Tout autre qu’Al-