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l’ouvrage, et les autres en demandent. On le voit, c’est ici encore le résultat général précédemment indiqué : le talent est payé, le temps et même la fatigue ne le sont plus. Cette ligne de démarcation subsiste aujourd’hui comme en 1847 et en 1851, et c’est ce qui ressortira pleinement des détails que nous allons donner.

Les femmes qui cousent pour les tailleurs sont payées à la pièce et ne font guère que des gilets ou des pantalons. Une bonne ouvrière travaillant pour un tailleur sur mesure peut gagner des journées de 4 et 5 francs, tandis que les ouvrières à la grosse, occupées par les confectionneurs, ne sont pas sûres de gagner 1 franc par jour[1]. Il en est de même de la confection pour dames. Les grandes maisons confient leurs étoffes à des entrepreneuses qui dirigent le travail des ouvrières et exécutent elles-mêmes tout ce qui exige du discernement et du goût. Les ouvrières ne font que coudre; elles gagnent 2 fr. et 2 fr. 50 cent. pour une journée sur laquelle elles ont une heure de repos. La confection en gros se fait dans des conditions toutes différentes. Une maison commande par exemple trois douzaines de paletots à une entrepreneuse. Ces paletots sont payés à la pièce, 2 francs; l’entrepreneuse prélève 50 centimes; l’ouvrière couseuse dépense pour 15 centimes de fil ; il ne lui reste donc que 1 franc 35 centimes de bénéfice. En travaillant de sept heures du matin à huit heures du soir, en ne prenant que strictement le temps de manger, une ouvrière habile peut faire trois paletots en deux jours et arriver ainsi à gagner des journées de 2 francs.

Il y a beaucoup d’articles variés dans la lingerie, depuis les tabliers de valets de chambre et les draps de lit jusqu’aux bonnets de haute nouveauté. Une ouvrière de talent qui coupe elle-même et finit un bonnet de luxe peut gagner 5 ou 6 francs par jour; ce sont en général de petites entrepreneuses qui se chargent elles-mêmes de ce travail. Parmi les ouvrières proprement dites, les meilleures, en très petit nombre, gagnent 3 francs; presque toutes gagnent de 2 fr. à 2 fr. 50 cent. pour des journées de treize heures. L’ouvrage le plus facile descend bien au-dessous de ce chiffre; par exemple, on ne paie que 80 cent. pour une douzaine de corps de fichus, et il faut être très active ouvrière pour en coudre deux douzaines en treize heures. Les tapissiers emploient un grand nombre de couturières.

  1. Les tailleurs sur mesure paient la façon d’un gilet de 4 à 6 francs, les fournitures en soie et charbon à la charge de l’ouvrière s’élèvent à 50 centimes; une bonne ouvrière fait un gilet en un jour. Les confectionneurs pour Paris paient la façon d’un gilet de 1 fr. 50 cent. à 2 fr. 50 cent.; on fait également un gilet en un jour; les fournitures en fil et charbon montent à 25 cent. Les confectionneurs qui destinent leurs marchandises à l’exportation ne paient pour la façon d’un gilet que 1 fr. 25 cent. au maximum et 75 cent. au minimum ; les fournitures en coton et charbon montent à 20 cent. : une ouvrière fait trois gilets droits en deux jours, bénéfice 85 cent. par jour.