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d’hommes connus sous le nom de chapeaux de paille sont en écorce de latanier. Le fabricant de Nancy reçoit l’écorce, l’apprête, la déchire en longues lanières avec un peigne métallique, et l’envoie dans la Moselle et le Bas-Rhin, où on la tresse en chapeaux. Les campagnes de la Meurthe fournissent aussi quelques ouvrières. Le chapeau est payé à l’ouvrière 50 centimes ; il faut travailler tout le jour et être très habile pour parvenir à en tisser deux. Les chapeaux de Panama et les chapeaux en tresses cousues de belle qualité se font en France, les premiers avec des feuilles qu’on fait venir de Panama, et les seconds avec des tresses achetées à Florence et frappées à l’entrée d’un droit exorbitant. Ce sont ces droits et dans quelques cas très rares la belle qualité de la matière première qui expliquent en partie les prix excessifs de certains chapeaux, car le prix de la main-d’œuvre est toujours insignifiant. On a vu longtemps exposé en vente chez un chapelier de Paris un panama coté deux mille francs, qui avait été vendu 60 fr. par le fabricant de Nancy. Ce chapeau avait peut-être rapporté 3 fr. à l’ouvrière qui l’avait tressé.

On doit encore rattacher la passementerie aux industries diverses qui ont le vêtement pour objet. Les femmes en chamarrent leurs robes, et l’armée, qui a sa coquetterie comme les femmes, occupe tout un monde à lui faire des épaulettes, des ceinturons et des dragonnes. La passementerie donne aux ouvrières d’élite des salaires de 3 fr., diminués de près d’un tiers par une morte saison de quatre mois. A. Paris, les ouvrières ordinaires ne gagnent pas plus de 1 fr. 75 cent. ; celles qui travaillent pour l’exportation doivent se contenter de 1 fr. 25 ou même 1 fr. La fabrication au petit métier de passementeries entremêlées de jais et la fabrication des boutons sont tombées si bas que les Parisiennes ne peuvent plus s’en charger, et les abandonnent depuis longtemps aux ouvrières d’Auvergne.

Les femmes ne sont pas uniquement employées dans l’industrie du vêtement et dans les industries accessoires, telles que la fabrication des plumes et la joaillerie. D’abord elles prennent une grande place dans les diverses professions qui ont l’alimentation pour objet ; les femmes occupées à ce genre de travaux sont presque toutes servantes à gages, et ne rentrent pas dans la catégorie des ouvrières[1]. Beaucoup de demoiselles de boutique occupent aussi une

  1. On pourrait croire que les domestiques, vivant auprès des familles aisées et dans un commerce nécessaire avec elles, ont des mœurs régulières ; il n’en est rien. De secrètes et continuelles comparaisons développent chez elles l’amour du plaisir et de la parure. MM. Trébuchet et Poirat-Duval, employés supérieurs de la préfecture de police, ont publié en 1857, dans la troisième édition du livre de Parent-Duchatelet, des recherches sur le nombre de sujets fournis à la prostitution de Paris par les diverses professions. Dans ce tableau, qui comprend 41 catégories, les femmes sans profession occupent le premier rang, les domestiques le second. La moyenne est pour elles de 81,69 sur 1,000 ; elle n’est que de 52,42 pour les ouvrières qui fournissent après elles la moyenne la plus élevée (les giletières) ; elle tombe rapidement au-dessous de 10 pour tous les autres corps d’états.