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bres qui se disputaient alors en Italie le gouvernement des croyances, et il est accueilli par tous deux avec une égale faveur : Ambroise l’honore du titre d’ami; Symmaque, l’arbitre des réputations littéraires en Occident, le déclare un homme éloquent, d’un goût délicat, plein d’atticisme dans ses railleries, et, ce qui peut étonner davantage, il vante la sincérité de sa parole et la sûreté de ses relations. Plus tard, il est vrai, Ambroise et lui changèrent de langage; mais tout le monde entrevit de bonne heure dans Rufin un homme qu’il fallait ménager. Tels furent ses débuts en Occident. Rome, où les avenues de la richesse et du pouvoir étaient gardées par une aristocratie puissante et jalouse, ne lui offrant pas ce qu’il cherchait, il tourna ses regards vers l’Orient. Constantinople en effet était un théâtre bien mieux approprié à ses qualités comme à ses vices; les luttes de l’esprit y tenaient plus de place qu’en Italie, et la finesse aquitanique pouvait s’exercer avec avantage à côté de l’astuce proverbiale du Syrien ou du Grec. Parvenu à se produire dans les bureaux de l’office impérial, carrière qui menait à tout avec un peu de faveur et de hasard, le Gaulois y serait peut-être resté longtemps malgré l’excellence de ses services, si des circonstances particulières n’eussent appelé sur lui les regards du prince.

Théodose venait d’arriver en Orient avec une mission qu’il s’était imposée lui-même dans l’ardeur de sa foi, et qui ne lui en paraissait que plus sainte : celle de ramener sous la communion de Nicée l’empire oriental, infecté d’arianisme depuis Valens. Il n’avait accepté qu’à ce prix le diadème que lui offrait Gratien. Né en Espagne et ne connaissant que l’Occident, le nouvel auguste se sentit tout d’abord isolé dans son empire, dans sa capitale, dans son palais, où il ne trouvait ou ne croyait trouver que des ariens plus ou moins dissimulés, et où les instrumens obligés de son œuvre devenaient, les premiers, suspects à ses yeux. Ce fut pour lui une bonne fortune inespérée de rencontrer, perdu dans la foule des Orientaux, un Occidental et presque un compatriote, car leurs patries d’origine n’étaient séparées que par les Pyrénées. Théodose l’attira près de sa personne, le consultant sur les choses les plus importantes, et sa confiance n’eut plus de bornes lorsqu’il découvrit dans cet habile conseiller un catholique plus fervent que lui-même. La fortune de Rufin marcha dès lors avec une rapidité qui sembla tenir du prodige. Déjà en crédit dès l’année 384, quoiqu’en dehors des hautes magistratures, on le voit, en 386, préfet du prétoire d’une des grandes divisions de l’Orient, en 390 maître des offices, c’est-à-dire ministre de l’administration intérieure et de la police, en 392 consul avec le fils aîné de l’empereur, en 394 préfet du prétoire in prœsenti, c’est-à-dire ministre dirigeant et le premier de l’empire après l’empereur. Une faveur n’attendait pas l’autre; on mur-