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le premier rang; les autres résineux ne viennent qu’ensuite, parce que la résine qu’ils contiennent s’oppose en partie à l’infiltration du liquide; quant au chêne, il ne laisse imprégner que l’aubier, le cœur résiste d’une manière presque absolue. L’injection ne modifie en rien la constitution des bois, elle en assure la conservation, mais ne leur donne pas des propriétés physiques qu’ils n’ont pas naturellement. La force et l’élasticité, si nécessaires pour les bois de charpente et de marine, qui font du chêne le premier de nos bois, ne sauraient devenir, malgré l’injection préalable, l’apanage des bois tendres; mais ceux-ci, en devenant inaltérables, pourront remplacer le chêne partout où ces qualités ne sont pas indispensables. Les poteaux télégraphiques, les tabliers de pont, les traverses de chemins de fer, les essis[1] des toitures, si exposés aux alternatives de sécheresse et d’humidité, constituent jusqu’à présent l’emploi le plus fréquent des bois injectés. Ils ne paraissent même pas susceptibles d’entrer dans les constructions sous-marines, car les chlorures que renferme l’eau de la mer exercent une action sur le sulfate de cuivre et en détruisent les propriétés anti-septiques. Cependant, même dans les limites que nous venons d’indiquer, la préparation des bois a une influence immense sur le développement de la richesse publique. Il est facile de s’en convaincre. Tout le monde sait que nous sommes bien pauvres en futaies de chêne, et qu’il ne faudrait pas moins de cent-vingt ou cent-cinquante ans pour en reconstituer de nouvelles. S’il eût fallu dans ces conditions employer, comme on l’a fait d’abord, le chêne pour la confection des traverses de chemins de fer, le prix du mètre cube, double aujourd’hui de ce qu’il était en 1814, serait arrivé à un chiffre qui eût entravé la construction de notre réseau et augmenté dans une énorme proportion les frais d’entretien. Nous avons en ce moment 9,000 kilomètres de chemins de fer en activité; il en reste 7,000 environ à construire : c’est donc en tout 16,000 kilomètres, dont la moitié au moins doit être à double voie, et l’autre moitié à voie simple. En comptant les voies d’évitement, les gares, il faut à peu près 1,200 traverses par kilomètre et par voie, soit 58 millions pour le réseau tout entier, représentant, si ces traverses étaient en chêne, au prix actuel de 6 fr. L’une, un capital de 348 millions de francs. Chacune d’elles durant dix années, les frais annuels d’entretien seraient du dixième de ce capital, ou 34,800,000 fr.<ref> Pour l’entretien seulement, il faudrait tous les ans près de 6 millions de traverses, représentant à peu près 600,000 mètres cubes de chêne, c’est-à-dire la production annuelle d’environ 80,000 hectares de forêts. </<ref>. L’emploi de traverses de hêtre injecté, qui ne

  1. Les essis ou bardeaux sont de petites planchettes de sapins très minces qui sont employées à la toiture des maisons. En Allemagne, les compagnies d’assurances demandent une prime moins élevée pour les maisons dans la construction desquelles on s’est servi d’essis injectés.