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renferment des essences précieuses, dont l’une surtout, le pin laricio, particulier à la Corse, atteint de très belles dimensions qui permettraient de l’employer pour la mâture des navires. Jusqu’à ces derniers temps, l’absence complète de voies de communication rendait à peu près impossible toute espèce d’exploitation, et ce n’est que depuis la construction d’un certain nombre de routes spéciales qu’on commence à tirer parti de ces richesses, qui se perdaient sans profit faute de moyens d’extraction. Malgré ces routes, l’exploitation de ces forêts ne peut avoir lieu sans des déboursés considérables : il faut construire des barrages sur les cours d’eau pour le flottage des bois, acheter des chevaux et des voitures pour les transporter hors de la coupe, établir des scieries, organiser des chantiers, enfin faire venir des ouvriers étrangers, puisque l’aversion des Corses pour le travail ne permet pas d’employer les gens du pays. Qui donc voudrait se résoudre à des frais de cette nature, s’il ne pouvait compter sur des bénéfices assurés? C’est ce que l’administration forestière a compris : aussi les coupes sont-elles adjugées en Corse pour cinq années au même entrepreneur, à la charge de remettre à l’état, à l’expiration de ce délai, les travaux divers exécutés par lui. En France au contraire, où les capitaux à engager sont relativement peu considérables, puisqu’on trouve partout des ouvriers et des voies de communication à peu près suffisantes, on se borne à vendre dans chaque forêt les bois à exploiter dans l’année; l’état bénéficie par là des hausses qui peuvent se produire dans la valeur vénale de sa marchandise.

En Allemagne, l’usage de la vente sur pied est peu répandu. Plus encore qu’en France, l’état y étend son action sur le domaine de l’activité privée, et se croit tenu à une espèce de tutelle envers les particuliers. Il n’a eu garde de faillir à cette mission pour ce qui concerne les forêts. Au lieu de se borner à produire le bois et d’abandonner, comme chez nous, à l’initiative individuelle le soin de le façonner de la manière la plus avantageuse et de le transporter là où le besoin s’en fait sentir, il s’occupe lui-même d’assurer l’approvisionnement des marchés, et se met directement en rapport avec le consommateur. L’administration forestière fait elle-même exploiter les coupes par des ouvriers spéciaux, puis elle en vend les produits, tantôt par lots en adjudication publique, tantôt à bureau ouvert à un prix fixé à l’avance. Quelquefois aussi elle passe des marchés avec certains industriels, et s’engage à leur livrer pour une ou plusieurs années les bois nécessaires à leurs usines. Ce système est peut-être, au point de vue cultural, préférable à celui de la vente sur pied, parce qu’il permet de mieux diriger les exploitations; mais il est tout à fait incompatible avec les règles d’une bonne administra-