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remment une pièce de charpente, des madriers, des lattes, des traverses de chemins de fer ou du merrain, n’aura pas la même valeur, quelle que soit l’espèce de marchandises qu’on en aura tirée : ce sont les besoins de la consommation qui, par la hausse des prix, doivent décider l’exploitant en faveur de l’une ou de l’autre. On conçoit que, pour être au courant de ces besoins et suivre les oscillations du marché, il faut y être directement intéressé; l’état n’a pour cela aucune des qualités requises. Le marchand de bois au contraire, dont la fortune est engagée, ne néglige rien pour être bien informé, et se trouve à même de débiter les arbres qu’il exploite le plus avantageusement possible. De plus il a des chantiers et peut y conserver sa marchandise jusqu’au moment où il trouve à s’en défaire, tandis que, les bois abattus et façonnés, l’état est obligé de les vendre, à quelque prix que ce soit. L’état d’ailleurs, s’il se mêlait de spéculations industrielles ou commerciales, sortirait complètement du cercle de ses attributions. Si, comme nous l’avons précédemment prouvé, il est indispensable qu’il soit propriétaire de forêts tant à cause de l’influence climatologique qu’elles exercent que pour garantir à la société un approvisionnement continu en produits ligneux, son action doit se borner à en assurer la conservation et à en porter la production en matière au plus haut point. Quant à débiter cette matière et à la mettre à la portée du consommateur, c’est l’affaire de l’industrie privée, qui, sachant l’utiliser le mieux possible, peut d’un autre côté la payer à l’état exactement ce qu’elle vaut.

En France, on a compris depuis longtemps l’avantage de la vente sur pied, et tous les ans l’administration forestière met en adjudication les coupes à effectuer dans les forêts domaniales. Dans quelques cas exceptionnels, il y a même avantage à vendre ces coupes à l’avance, et en bloc, pour un certain nombre d’années successives. C’est ce qui arrive quand les travaux d’exploitation nécessitent des capitaux considérables que les produits d’une seule année ne pourraient rembourser. Ce système est notamment mis en pratique dans les forêts domaniales de la Corse. Cette île est parcourue du nord au sud, depuis le Cap-Corse jusqu’à Bonifacio, par une chaîne de montagnes abruptes, de constitution granitique, dont le point culminant, le Monte-Rotondo, n’a pas moins de 2,800 mètres; des rameaux importans, qui s’échappent de cette immense arête, courent latéralement jusqu’à la mer, formant entre eux des vallées étroites et irrégulières dont le fond est occupé par des torrens aux eaux rapides et profondes. De belles forêts, derniers vestiges de celles qui couvraient autrefois l’île entière, détruites par les dévastations des Génois et les incendies des bergers, tapissent encore les flancs presque inaccessibles de la plupart de ces montagnes. Elles