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avec confiance sur le bras de M. de Savines, aucune tempête ne l’agitait. Quand elle entra dans le petit salon de la métairie, Marie, inquiète de l’absence de Marthe à une heure matinale où les soins du ménage la retenaient ordinairement au logis, avait envoyé la Javiole et Francion à sa recherche ; elle-même, après des courses autour de la maison, se tenait à la fenêtre. Marie n’avait pas vu sa sœur et M, de Savines, qui étaient entrés par une porte de derrière des bâtimens. Elle tourna la tête au bruit que fit Marthe en paraissant tout à coup dans la pièce du rez-de-chaussée. — Ah ! te voilà ? dit-elle.

Elle aperçut Olivier, qui marchait derrière sa sœur, et s’arrêta court. Un tel rayonnement illuminait le visage de Marthe, l’expression de ses yeux était si charmante, si tendre, si remplie d’impatience, que Marie devina que quelque chose d’extraordinaire se passait. Elle devint pourpre et regarda Marthe à son tour avec un sentiment d’anxiété où la crainte et l’espérance se peignaient.

— Eh bien ! oui, c’est vrai ! s’écria Marthe, qui poussa M. de Savines du côté de Marie.

Les joies du sacrifice sont les plus fécondes et les plus pures, si elles sont les plus austères. Seules, les âmes fières et délicates en connaissent les voluptés ; comme autrefois la lance sacrée de Minerve qui guérissait les blessures ouvertes par son fer divin, elles cicatrisent les plaies qui saignent au fond du cœur. Marthe, reposée, commençait à croire qu’il n’y a qu’un vrai bonheur dans la vie, c’est d’assurer le bonheur de ceux qu’on aime. Cependant son secret devait un jour lui échapper. M. de Savines ne quittait presque plus La Grisolle depuis ses fiançailles avec Marie. Les bans de leur prochain mariage étaient publiés, et la présence de M. Pêchereau, guéri de ses rhumatismes, lui permettait de rester auprès des deux sœurs. Un matin, au moment de mettre pied à terre, le cheval qu’il montait fit un écart prodigieux, et, manquant des quatre fers à la fois, s’abattit sur l’herbe avant qu’Olivier eût pu sauter de selle. Marthe était sur la porte de La Grisolle : elle poussa un cri et s’élança vers le cavalier d’un seul bond ; mais la chute avait été plus rapide que terrible. L’homme et le cheval étaient debout avant même qu’elle eût fait trois pas. Elle saisit M. de Savines par le bras et l’enveloppa d’un tel regard que la lumière apparut aux yeux d’Olivier. — Ah ! dit-il à demi-voix, vous m’avez trompé !

Mlle de Neulise, qui était toute blanche, sentit le feu lui monter au visage. En ce moment, Marie sortait de la maison ; elle avait vu l’accident et se soutenait à peine. L’angoisse était dans ses yeux, le désespoir sur ses traits. — Regardez-la ! murmura Marthe ; ai-je eu tort ? — M. de Savines courut vers Marie et la prit dans ses bras.