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c’est tout. Vous m’avez aidée, vous savez dans quelles circonstances, à tirer ma sœur d’une mélancolie qui pouvait avoir de funestes conséquences pour sa santé. Elle est guérie, mais elle n’a pas, comme moi, traversé le monde et trouvé dans cette fréquentation la cuirasse qui met le cœur à l’abri des surprises. Si nous devons nous dire adieu, mieux vaut que ce soit aujourd’hui que demain.

Deux sentimens étroitement liés se disputaient le cœur de M. de Savines. À mesure que Mlle de Neulise parlait, malgré lui il ne pouvait s’empêcher de penser à ce jour lointain où leur âme avait partagé la même émotion. La claire lumière du matin remplaçait la clarté pénétrante du soir ; mais c’était la même femme, la même voix, le même limpide regard. N’était-elle pas la compagne qu’il avait souhaitée, celle qui un instant avait paru répondre à son appel mystérieux ? Cependant l’image doucement attendrie et rêveuse de Marie flottait devant lui. Elle avait la séduction de la faiblesse, toute la grâce de l’amour humble et soumis. — Ah ! dit M. de Savines, j’ai fait un rêve !

Ce n’était pas précisément le mot que Marthe attendait. Elle sut gré cependant à Olivier de ne pas oublier trop vite la soirée à laquelle il venait de faire allusion par un cri ; mais, étouffant les pulsations d’un cœur qu’elle condamnait au sacrifice : — Vous ne redoutez donc plus ce diable dont vous me parliez au bord de l’étang autrefois ? dit-elle en souriant.

M. de Savines tressaillit ; l’accent de cette voix aimable le trompa. — Eh quoi ! s’écria-t-il, cette femme que je devais trouver, c’était donc Marie ?

— Et quelle autre vouliez-vous que ce fût ? répondit Marthe sans éviter le regard d’Olivier.

M. de Savines réfléchit un moment ; puis, comme subjugué par l’empire de ces yeux profonds, clairs, lumineux, avec un mélange inexprimable de tristesse, de passion, de reconnaissance : — Mademoiselle, dit-il, permettez-moi de vous ramener à La Grisolle.

Marthe laissa tomber sa main dans celle d’Olivier : elle venait de conclure les fiançailles de sa sœur.

Le premier bienfait d’une détermination résolument prise, c’est d’apporter une sorte d’apaisement dans les esprits troublés. Avec l’incertitude cesse le malaise. On éprouve la sensation de bien-être et de contentement du voyageur qui, perdu quelque temps au milieu des broussailles et des halliers d’une forêt, voit tout à coup s’ouvrir devant lui une route plane et droite. Marthe connut ce bonheur, elle fut étonnée elle-même de la liberté de son langage, tandis qu’elle suivait avec Olivier le chemin qui les ramenait à La Grisolle ; les battemens de son cœur étaient réguliers, elle s’appuyait