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amitié pour les deux sœurs était assez sincère pour excuser et comprendre la liberté qu’elle avait prise dans une heure de découragement. Tout cela fut dit avec une mélange de bonne humeur et d’attendrissement où l’on sentait la prière. Olivier se rendit sans effort : il promit de ne plus bouger de ses ruines ; mais ce n’était pas tout. Marthe le prit à part dans la journée. Elle avait eu de sérieuses inquiétudes au sujet de la santé de Marie, sur laquelle malheureusement elle n’avait point d’autorité ; elle avait pu remarquer au contraire en maintes circonstances que M. de Savines avait sur son esprit une influence réelle. Elle lui demandait d’en faire usage pour l’arracher à une tristesse sans cause que Marie avait le tort de ne pas combattre. — Une sœur, ce n’est rien ! dit-elle ; on n’entend pas même ce qu’elle dit. Un ami, c’est quelque chose… Vous l’encouragerez, vous la gronderez, mais doucement, et elle vous écoutera.

Cette ruse innocente prenait sa source dans une connaissance exquise des sentimens les plus délicats du cœur. Marthe avait pu voir, par une expérience personnelle, que les êtres doués d’une véritable bonté s’attachent par les liens les plus forts aux êtres plus faibles qu’ils ont soulagés dans leur affliction, secourus dans leur détresse. Cette utilité charitable les enchaîne, les échauffe, les pénètre, et ils se donnent en croyant servir. Or Mlle de Neulise était bien sûre que M. de Savines avait la bonté en partage. Cette tutelle morale qu’elle lui confiait avait ce premier avantage de permettre à Olivier d’entrer plus avant dans ce caractère, non pas farouche, mais effarouché, tendre, tout plein des plus charmantes délicatesses, mais tout embarrassé de voiles qu’une excessive timidité épaississait. Leur intimité nouvelle le ferait marcher dans le pays des surprises aimables ; Olivier aurait pour continuer le charme des découvertes ; devant lui et pour lui, Marie se dégagerait de ses voiles. C’était une tactique habile ; seulement Mlle de Neulise devait s’y déchirer contre des épines qu’elle entrevoyait, et dont par avance elle acceptait les meurtrissures. Ces épines ne tardèrent pas à lui faire sentir leurs pointes ; Marthe se raidit et continua, par de douces confidences, à pousser M. de Savines. Marie allait mieux. Au retour d’une promenade faite avec sa sœur et Olivier, elle avait chanté, ce qui ne lui était pas arrivé depuis deux mois. La mélancolie disparaissait comme le brouillard de la première heure quand s’élève le matin. Ses yeux avaient un éclat, ses joues un coloris qui annonçait le retour à la santé. Olivier recueillait le prix de ses efforts ; il avait tenu à cette âme languissante le langage qui devait la réconforter. Quant à Marthe, elle continuait à se parer de robes de soie, à s’attifer et à faire retentir La Grisolle des sons vifs et pétulans d’une musique nouvelle qu’elle avait fait venir tout exprès de Paris. Tandis que ses doigts rapides couraient sur le clavier, Mlle de