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se souvint du temps où elle disait à M. Pêchereau : — Ce qu’il faut, il le faut ! — Ah ! qu’elle était jeune alors !

Le bruit des pas d’un cheval la tira de sa rêverie. Elle aperçut au loin Olivier qui passait dans la campagne et regardait partout pour voir s’il ne la découvrirait pas. Blottie derrière un pan de feuillage, Marthe appuya les deux mains sur son cœur : — Ah ! dit-elle, je ne m’appellerai jamais Mme de Savines !


VII.

Mais ce n’était pas tout que d’en prendre la résolution, il fallait encore la maintenir et amener M. de Savines à renoncer à celle qu’il aimait. Marthe passa la nuit à y réfléchir : elle ne pouvait pas avoir la cruelle espérance de réussir à éviter toujours Olivier ; il fallait d’abord et surtout ne pas le rencontrer dans ces lieux perfides où l’épanchement naît de la solitude. Plus de promenades lointaines, plus de courses aux bords de l’étang, plus de confidences, c’était du même coup retrancher ce qu’il y avait de plus charmant dans sa vie ; Mlle de Neulise s’y résigna. Peut-être M. de Savines l’accuserait-il d’indifférence et même de coquetterie. Elle eut un frisson à cette pensée ; mais qu’importait si le but était atteint ? Marthe s’appliqua donc avec un mâle courage à marcher dans ce chemin où les épines naissaient de chaque effort. M. de Savines ne la reconnaissait plus ; bien souvent il la suivait des yeux avec l’expression de la surprise et du chagrin. Marthe évitait alors de le regarder. La tristesse qu’elle lisait dans ses traits était la chose qui lui faisait le plus de mal. Deux ou trois fois Olivier essaya de reprendre l’entretien au point où ils l’avaient laissé, un soir, près de l’étang de la Tour ; elle ne s’y prêta pas : une fierté sauvage ne permit plus à M. de Savines de renouveler une tentative si mal récompensée. Marthe devina seulement qu’il en souffrait ; dans ces momens-là, près de faiblir et désespérée, elle ne trouvait l’énergie de persister qu’en se réfugiant auprès de Marie.

Un matin, à l’heure du déjeuner, Marthe parut en robe de soie et parée à ravir. M. de Savines était là, il ne put réprimer un léger cri à la vue de cette élégance. Marie retourna la tête. — Eh ! qu’est-ce donc ? dit-elle, te voilà comme à Rambouillet du temps de tes folies !

— Ah ! répondit Marthe, cela me lassait de porter sans cesse et toujours de la laine en hiver, de la toile en été… J’ai fouillé dans mes tiroirs, et j’ai passé la nuit à rafraîchir cette toilette… Me voilà plus jeune de dix ans.

Elle passa devant une glace en minaudant et se fit à elle-même