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fortune et tournant la mauvaise au profit de la vie, créaient entre Marthe et Olivier des affinités de caractère dont ils devaient subir les entraînemens et accepter les séductions. Depuis qu’elle habitait La Grisolle, Marthe ne manquait pas un seul jour de faire de longues promenades ; elle y trouvait le double plaisir de voir et de marcher. C’était en outre un moyen de surveiller les travaux de la ferme. L’activité était à son esprit ce que l’air était à ses poumons : elle revenait toujours de ces grandes courses les joues roses, le cœur content. C’était du côté de l’étang de la Tour qu’elle dirigeait de préférence sa promenade. La forêt en côtoie une des rives, la bruyère couvre l’autre bord. Au coucher du soleil, l’ombre des chênes séculaires s’étend sur l’herbe, les landes rougissent au loin, la surface immobile des eaux s’illumine, des groupes confus d’arbres, de haies, de buissons se noient dans un horizon fauve ; on est à mille lieues des villes. Marthe avait découvert une large pierre tapissée de mousse sur laquelle elle s’asseyait : c’était un observatoire d’où elle suivait le vol des demoiselles ou étudiait les jeux des halbrans parmi les joncs. Une bergère menant ses moutons au pacage était la seule créature humaine qu’elle eût occasion de saluer dans cet endroit sauvage. Après un repos d’un quart d’heure, Marthe reprenait le chemin de La Grisolle ; mais depuis le soir où la pluie et Francien avaient introduit M. de Savines dans la métairie, Mlle de Neulise n’était plus seule à marcher sur la chaussée, à s’asseoir au bord de l’étang.

Un jour qu’Olivier l’avait surprise sur sa pierre accoutumée, l’entretien glissa, par une pente insensible, sur les conditions de solitude que les secousses de la vie leur avaient faites. Marthe ne s’en montrait pas inquiète. Olivier la regardait tout en jetant de petits cailloux dans l’eau tranquille de l’étang. Il s’étonnait que tant de jeunesse, de grâce, de vivacité, fussent ensevelies dans ce désert et ne regrettassent rien. Mlle de Neulise devinait cet étonnement ; quelques mots le rendirent plus significatif. — Que voulez-vous ! dit Marthe… Il m’a semblé en réfléchissant, et Dieu sait si c’était ma coutume, qu’on peut tirer parti du moindre brin d’herbe. Que de choses qui ne paraissent difficiles que parce qu’on ne les essaie pas !

— Oh ! dit Olivier en riant, vous parlez comme l’antique Minerve ; mais il y a longtemps que la pauvre déesse est morte.

— Bon ! raillez tant qu’il vous plaira, vous savez bien que j’ai raison. Le plaisant est que vous pratiquez ce que ma philosophie professe !

— C’est beaucoup d’honneur que vous me faites… Mais si j’ai l’air fort tranquille, le diable n’y perd rien !