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haut d’elle-même, et ne s’était-il rien passé dans ce demi-siècle qui avait compris la fin du grand règne et les premières années d’un temps nouveau ? La France avait-elle été témoin d’un simple changement de personnes sur le trône, ou bien l’esprit français n’avait-il pas subi une grave épreuve, dont les écrits de Voltaire, quels qu’ils fussent, devaient trahir les résultats ? Nous rencontrons ici un des plus remarquables mérites de M. Saint-Marc Girardin. Il sait dire la vérité à ses auditeurs, et il sait la leur rendre acceptable. Que de fois nous l’avons entendu faire doucement la leçon à tous les travers de la jeunesse, blâmer les folles amours et les vagues pensées, et rendre enviables aux moins réfléchis d’entre ses auditeurs l’honnêteté sévère, la douce et forte humilité, le droit sens et la vertu !

C’est un des charmes les plus puissans de sa parole, c’est un des secrets de ces applaudissemens prompts et faciles, mais toujours mérités, qu’on sait à l’avance la sûreté de son inspiration. Vous pouvez vous y abandonner en toute liberté et vous y laisser séduire ; elle ne vous trahira jamais, c’est-à-dire ne vous offrira jamais du suspect ou du faux brillant : son dessin léger, qui vous apparaît vif, alerte, sans apprêt, né sur l’heure, quelquefois aventureux, repose toujours sur une trame solide, ferme tissu de bon sens et de raison. Le désir de devenir sérieusement utile et la conscience de l’être s’ajoutent à ces qualités quand M. Saint-Marc Girardin exprime des conseils de conduite publique ou de vie privée. C’est ce qui fait accueillir de ce nombreux auditoire, bien qu’ils ne soient exempts ni de sévérité ni de tristesse, certains jugemens de l’orateur sur la façon dont nos aïeux, nos pères et nous-mêmes avons conduit en mainte occasion l’histoire de France. Il faut rendre cette justice à M. Saint-Marc Girardin, qu’il nous prêche dans la vie publique nos devoirs plus que nos droits. Et n’est-ce pas la sage conduite ? Aurait-on si peu de foi qu’on oubliât qu’au devoir bien rempli correspond un droit, cette fois inébranlable ? A ne considérer que les quinze années de la fin du règne de Louis XIV, qui résumaient facilement pour les auditeurs la période écoulée entre l’Art poétique et le Temple du Goût, il était du devoir de l’esprit français, au nom de la liberté civile, politique et religieuse, tout au moins au nom de la charité, au nom du bon sens, de ne pas se montrer exclusif et despote comme il l’a été envers les différentes oppositions qui se manifestaient alors. Louis XIV n’en voulut pas souffrir, et l’esprit français fut son complice. La révocation de l’édit de Nantes fut populaire en France, cela est triste à dire, mais facile à prouver, et détruisit la première opposition, celle des protestans. M. Saint-Marc Girardin a rappelé à ce propos un mot d’Alexandre Thomas, suivant lequel le malheur des protestans en France aurait été de se trouver à l’état de minorité chez un peuple qui a un goût décidé pour les majorités. N’est-ce pas aussi cependant à cette situation constante de minorité surveillée que les protestans ont dû une partie des vertus qui ont signalé les églises françaises et une partie de la considération morale qu’elles ont conquise dans notre pays ? Il n’en est pas moins vraisemblable que la liberté du culte reconnue sous Louis XIV aux protestans aurait été un contre-poids utile, qui aurait sauvé l’église catholique en France de ses erreurs pendant le XVIIIe siècle ; tout au moins la lutte pouvait-elle être salutaire aux esprits et profitable aux combattans. Avec les jansénistes a succombé une seconde opposition ; sommes-nous