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manque aussi cet admirable concours des quatre bouts du monde que Paris seul peut offrir, et qui, réuni sous l’inspiration d’un enseignement depuis longtemps célèbre et justement vanté, crée autour de lui je ne sais quelle atmosphère électrique où la parole fait vibrer à l’instant les esprits et les cœurs. — Quant aux universités étrangères, interrogez tous leurs disciples: ils vous diront qu’elles tiennent en honneur dans leur enseignement littéraire la déduction savante, l’argumentation logique, non sans une science qui a valu aux professeurs la célébrité avec une juste reconnaissance de la part de l’Europe, mais ils vous diront aussi que l’enseignement y est moins libéral et moins vivant. Il y a certaines qualités que ne comporte pas l’allure ordinaire de leurs universités nationales, et qu’ils viennent chercher à Paris; comme autrefois leurs devanciers venaient s’asseoir sur la paille de la rue du Fouarre, ils viennent eux-mêmes, à six cents ans de distance, s’asseoir sur les bancs de l’antique Sorbonne; comme eux, en recherchant notre enseignement, ils deviennent Français pour deux ou trois de leurs plus belles années, et, quoi qu’ils fassent ou quoi que nous fassions, il leur en reste bien pour toute la vie quelque chose.

Il n’est pas un des cours qui leur sont offerts où leur avidité ne puisse rencontrer un bon nombre de traits de cette éducation française à laquelle ils rendent hommage; mais on peut dire que personne n’en a su réunir et présenter l’esprit et la forme avec autant de bonheur que M. Saint-Marc Girardin dans sa longue carrière. Si cet auditoire de plus de douze cents personnes devient tout à coup si intelligent, si bien doué, si généreux, c’est qu’il reflète l’esprit et le caractère de l’orateur qui l’anime, et ce dernier n’a pas cherché de meilleur instrument pour subjuguer et façonner de la sorte le milieu changeant et divers où sa parole devait jeter la lumière et l’ardeur que la méthode de haut enseignement inaugurée il y a trente ans par MM. Cousin, Guizot et Villemain, méthode éloquente dans le sens propre du mot, c’est-à-dire unissant la clarté et l’agrément de l’expression au choix sévère, à la subordination logique et à l’élévation constante des idées, méthode vraiment conforme à notre esprit national, et dont M. Saint-Marc Girardin est depuis si longtemps dans notre Université le maître et le modèle.

La première leçon du cours de cette année suffisait à elle seule pour montrer à l’œuvre toutes les ressources de cette méthode. Le professeur s’était proposé de comparer entre eux l’Art poétique de Boileau et le Temple du Goût. C’était déjà, rien qu’en instituant ce parallèle, saisir avec esprit deux hommes bien différens par leurs côtés communs, qui étaient leurs meilleurs côtés. La comparaison seule rendait justice à tous deux, en les présentant, avant même que le professeur n’eût parlé, comme les deux excellens défenseurs de la bonne critique littéraire et du goût, comme les deux sages amis des anciens contre les prétendus modernes, comme les deux adversaires également sensés de La Mothe et de Perrault. A l’un et à l’autre, à Voltaire comme à Despréaux, la comparaison profitait, et le souvenir des deux poètes gagnait à l’heureux rapprochement de l’élégance légère et de la grave raison. Ce n’était pas assez de montrer, comme l’a fait d’abord M. Saint-Marc Girardin, la conformité des jugemens littéraires, à un demi-siècle de distance, sous la plume de Boileau et sous celle de Voltaire. Fallait-il forcer la comparaison? la différence des dates ne parlait-elle pas très