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law, c’est-à-dire étaient soumis au droit commun, et il avance que le système appliqué à la presse par les défenseurs de la maison de Hanovre n’était pas moins dictatorial que notre régime des avertissemens. Quel sens M. le ministre de l’intérieur attache-t-il donc aux mots liberté et dictature ? Il nous semblait que ces mots n’avaient plus guère besoin de définitions, que la dictature est le régime où le pouvoir exécutif, ne fût-ce que temporairement et partiellement, contrairement au principe tutélaire de la division des pouvoirs, s’empare des attributions du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire, que la liberté est le régime où chaque citoyen peut participer par la discussion et la délégation à la confection de la loi, le régime où celui qui applique la loi n’est point celui qui l’a faite, où l’on ne peut être recherché que pour des délits qui tombent sous la définition antérieure de la loi, puni que par l’application de peines édictées par la loi. Or il n’est pas nécessaire de suivre M. de Persigny dans le délicat parallèle qu’il trace entre le juge hanovrien et le ministre napoléonien pour comprendre cette différence profonde. Il y a eu en Angleterre des procès de presse sous la reine Anne, sous la maison de Hanovre ; qu’y a-t-il là d’incompatible avec la liberté ? Qui ne reconnaît que des délits, des crimes même peuvent être commis par la voie de la presse contre les personnes, contre les lois du pays, contre la sûreté de l’état ? On n’a jamais prétendu qu’en ce cas l’impunité de la presse fut une prérogative de sa liberté. Dans un pays où la presse est libre et jouit de toutes les garanties de la loi, il est possible que les écrivains et les journaux soient soumis à une législation sévère ; il est possible qu’accidentellement, exceptionnellement, la passion ou la corruption du juge fasse violence à la loi et entraîne des arrêts iniques : les partisans de la liberté de la presse, ou, pour mieux dire, les partisans de l’indépendance et de la dignité de l’esprit humain, n’en regarderont pas moins la liberté comme protégée par la loi. Or c’est cette garantie de la loi qui n’a jamais manqué à la presse anglaise, et que les juges hanovriens n’ont jamais songé à lui contester. Ils ont été moins offusqués du fantôme du jacobitisme que M. de Persigny ne le suppose.

Quand ce bon, honnête et courageux Daniel de Foë était, sous la reine Anne, condamné au pilori, c’était un révolutionnaire libéral qui subissait la vengeance d’un magistrat jacobite. Quand, sous Walpole, les légistes de la couronne intentaient des procès au Craftsman, le journal où Bolingroke lançait ses épigrammes acérées contre son heureux rival, le journal soutenu par l’éloquent et riche Pulteney, c’était simplement un organe de l’opposition, non une conspiration jacobite, que l’on poursuivait, car Bolingbroke était depuis longtemps brouillé avec les Stuarts, et Pulteney, ancien ministre, était destiné à rentrer encore dans le cabinet. Les journaux anglais de ce temps-là pouvaient compter, dans leur résistance au pouvoir, sur les sympathies de l’opinion et l’indépendance du jury. Le Craftsman, qui eut de nombreux procès, fut souvent acquitté, acquitté par les déclarations du