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de M. Léon Vingtain, a permis au public d’embrasser la jurisprudence : étrange pénalité qui, dans un pays où l’on se faisait gloire d’avoir aboli la confiscation, peut aller jusqu’à supprimer une propriété, qui menace plus encore qu’elle ne frappe, et dont l’application n’est entourée d’aucune des garanties qui protègent l’administration de la justice ordinaire. Ici encore nous ne discutons point : nous énonçons simplement le fait. Nous ne décrirons pas même ce que ce régime a fait de la presse française, qui a pu avoir des torts et commettre des fautes à d’autres époques, mais qui a eu des jours si glorieux, et dont le patriotisme, le talent et la probité ont si souvent servi les intérêts et soutenu l’honneur du pays. Hébétée dans la grasse léthargie du monopole ou pétrifiée par les conditions qui rendaient son existence si précaire, elle a perdu tout ressort, elle s’est désintéressée de la vie publique intérieure du pays, elle a bercé, en le partageant, le sommeil du pays. En l’enlevant aux viriles et saines impulsions des opinions politiques, on l’a livrée aux intérêts. Et s’il est des gens qui rougissent aujourd’hui de la voir s’incliner sous les fourches caudines de la réclame, qu’ils aient au moins assez de logique dans l’esprit, assez d’énergie dans la conscience, pour remonter des effets à la cause, pour reconnaître que la liberté seule peut ramener les journaux au sentiment de leur responsabilité et de leur dignité, et leur donner la force de rendre à la morale publique les services qu’on leur demande.

De ces deux caractères fondamentaux du décret de 1852, lesquels constituent des dérogations positives aux principes de 1789 et à l’esprit de la législation française, M, de Persigny n’en aborde qu’un seul dans sa circulaire. Il laisse de côté l’investiture administrative, et ne s’occupe que du régime des avertissemens ; encore décline-t-il la défense théorique de la mesure et ne cherche-t-il à la justifier que par un argument tiré des nécessités politiques, par la raison d’état. L’argument fondé sur la raison d’état est simple : la presse, suivant M. de Persigny, ne peut jouir de la plénitude de sa liberté dans un pays où le principe même du gouvernement n’est point accepté par tous les partis. C’est surtout par l’exemple de l’Angleterre, et en invoquant l’expérience du régime légal auquel la presse a été soumise dans ce pays depuis la révolution de 1688 jusqu’à l’anéantissement du parti jacobite, que M. de Persigny croit justifier le régime exceptionnel imposé à la presse française. Certes on a pu trouver étrange que l’on empruntât à l’Angleterre d’il y a cent cinquante ans des exemples dont on voulût faire la règle de la France actuelle. Nous n’insistons pas sur ce qu’il y aurait de peu flatteur pour notre pays dans une assimilation qui tendrait à nous retenir un siècle et demi en arrière de nos voisins. Si la comparaison était même exacte quant aux principes qui ont régi la situation de la presse anglaise dans la première moitié du xviiie siècle et quant à ceux qui ont inspiré le décret de 1852, elle aurait bien peu de portée, si l’on songe au rôle restreint que les journaux jouaient dans les sociétés du xviiie siècle, et aux be-