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froid, terne et pédant des documens officiels ordinaires. M. de Persigny se soucie peu de la correction du style officiel ; il secoue cette raideur maussade du langage fonctionnaire, qui rend si ennuyeuses les élucubrations habituelles des interprètes jurés du principe d’autorité ; il ne nous morigène pas en régent de collège. Il encourage la discussion par sa façon d’entrer en matière, on pourrait dire qu’il la provoque par l’allure paradoxale de quelques-unes de ses assertions. Il a, comme on dit vulgairement, de l’entrain, et cet entrain est communicatif. C’est surtout sa curieuse circulaire sur la situation de la presse qu’en ce moment nous avons en vue.

M. de Persigny a fait preuve de son courage habituel en abordant tout de suite la question capitale de notre régime politique : la condition faite à la presse. Nous partageons, quant à nous, l’opinion qu’a exprimée M. Saint-Marc Girardin dans sa récente brochure, le Décret du 24 novembre ou la Réforme de la Constitution de 1852. « Qu’on le sache bien : l’épreuve du retour à la monarchie parlementaire ne sera décisive que lorsque la presse aura recouvré sa liberté légale, c’est-à-dire qu’elle ne dépendra plus que de la loi et des tribunaux. Jusque-là, la réforme de 1860 ne sera qu’une espérance à laquelle nous souhaitons tous les succès possibles, mais à laquelle aussi manquera le succès le plus significatif. » Qu’on l’aperçoive avec cette netteté sagace qui distingue M. Saint-Marc Girardin, ou qu’on le ressente instinctivement et confusément, tout le monde au fond est du même avis : la pierre de touche du régime politique de la France ne peut être que dans la condition légale qui sera faite à la presse. Nous oserons dire que M. de Persigny comprend comme nous la solidarité qui unit la liberté de la presse à la sincérité du rétablissement de la liberté politique en France. Cette préoccupation éclate partout dans sa circulaire ; elle respire dans cette forme de discussion apologétique adoptée par le ministre ; elle se trahit dans les efforts singuliers et imprévus qu’il tente pour justifier, par l’autorité des précédons anglais, la politique suivie depuis 1852 par le gouvernement envers les journaux. Ces efforts n’ont point été heureux : l’argumentation à laquelle ils ont abouti pèche au double point de vue de la théorie et de la pratique, des principes du droit et de l’expérience historique. En prenant acte de ce double insuccès, il nous sera permis de considérer comme le dernier effort d’une résistance prête à cesser cette vaillante sortie de M. de Persigny, et de voir dans sa circulaire une transition vers un meilleur régime légal de la presse.

Le décret de 1852 fait exception en deux points aux principes du droit moderne de la France tel qu’il est sorti de la révolution de 1789. D’une part, les principes de 1789 ont consacré l’égalité de tous les citoyens devant la loi ; de l’autre, ils ont assuré au pouvoir judiciaire, distingué fondamentalement du pouvoir exécutif, l’appréciation et la répression des infractions commises envers les lois. Le décret sur la presse fait exception à ces deux principes.