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pris en amitié, avait toute liberté de causer avec qui bon lui semblait. Si plus tard il lui arriva de croiser sur un sentier cet étranger, il la saluait avec une politesse où l’on sentait le respect, et passait. Un jour elle l’aperçut courant à cheval sur la route qui longe la forêt des Yvelines ; il portait le costume vert d’un garde-général des forêts de la couronne. — Eh ! bonjour ! cria la voix forte de Francion, qui non loin de là bâtissait des meules de foin.

Le garde-général lui fit un signe de la main ; Jacquot partit comme un trait, atteignit la route en quelques bonds et sauta sur les jambes du cavalier, qui le caressa. Un moment après, il disparaissait derrière un bouquet de chênes, et Jacquot, la queue frétillante, retournait auprès de son maître. Pour le coup Marthe n’y tint plus et s’approcha de Francion. — Quel est donc ce jeune homme à qui vous venez de dire bonjour ? lui demanda-t-elle.

— C’est M. Olivier de Savines, répondit Francion sans quitter sa fourche.

— Il est donc garde-général ?

— S’il ne l’était pas, il n’en porterait pas l’habit.

— Est-ce qu’il demeure dans le voisinage ?

— Oui, aux Vaux-de-Cernay ; il a là un petit coin parmi les ruines.

— C’est un bel endroit.

— Oh ! des pierres, quelques pans de mur et des broussailles… C’est bon pour les savans, mais ça ne vaut pas La Grisolle.

— C’est donc un savant, M. de Savines ?

— Lui ! je crois bien qu’il en remontrerait au curé. L’autre jour il a trouvé dans les ruines une vieille pierre sur laquelle il y avait des lettres à moitié cassées ; il a lu la chose tout courant. Il paraît que c’était du latin.

Marthe s’assit sur un tas de foin. — Ah ! vous connaissez donc des gens qui parlent latin ? reprit-elle en tirant de la meule des brins d’herbe sèche qu’elle tordit du bout des doigts.

Francion planta sa fourche dans le pré, et appuyant ses deux mains dessus : — Je vois bien ce qui vous chiffonne, dit-il. Un braconnier et un savant, comment cela marche-t-il ensemble ? C’est comme si on attelait au même brancard un loup et un bon petit cheval bien sage ! Il y a là-dessous une histoire que vous ne seriez pas fâchée de savoir… Eh bien ! mam’zelle, l’histoire est bien simple, et je vais vous la raconter tout d’un trait.

On sait que Francion n’avait pas le cœur mauvais. Les pauvres gens du pays mangeaient la plupart des lièvres et des lapins qu’il tuait en braconnant. Quand une fille se mariait avec un journalier ou quelque bûcheron, il fournissait le rôti. C’était sa manière de faire un cadeau de noces. Il n’était donc pas de cabane à cinq lieues