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bouillet à Paris n’a pas trop le droit de donner son avis ; cependant il me semble que si l’on regardait de bien près les chagrins de la vie, on s’apercevrait qu’il en est de ces misères comme de ces fantômes dont il est question dans certains contes. De loin ils sont terribles, de près ce ne sont que brouillards et nuées… J’ai cru un temps qu’on ne pouvait pas vivre loin du monde. Hors du bal point de salut ! me disais-je. J’ai toute raison de croire que je ne danserai plus, et je n’en suis pas plus malheureuse.

— C’est peut-être vrai, reprit Valentin.

— Voilà une bonne parole ; pensez-y, et apportez-moi vos images. Il m’en faut deux avant la fin du mois.

L’entretien prit alors un autre tour. Marthe parlait résolument, en personne dont l’humeur égale ne peut pas être ébranlée longtemps ; ce qu’elle disait avait la fraîcheur bienfaisante de la rosée. Valentin en était tout pénétré. — Vous ne regrettez donc jamais rien ? dit-il émerveillé.

— Je m’arrange pour n’en avoir pas le temps.

Cette conversation porta de bons fruits. Valentin se remit au travail ; on le revit à La Grisolle. Le vieux M. Favrel se frottait les mains. — Quand je vous le disais ! répétait-il à Mlle de Neulise. Il n’écoute que vous. Pourquoi ?… voilà ce qui me passe !

M. Favrel n’était pas la seule personne à qui le changement qu’on remarquait dans l’attitude de Valentin eût inspiré une joie sincère. Francion, qui disait les choses crûment, en remercia Marthe. — C’était un garçon, dit-il, qui prenait le chemin du cimetière par le plus court. Le voilà qui s’arrête en route. Encore un petit effort, et il sera guéri tout à fait. La chose faite, je boirai volontiers un coup à la santé de votre médecine.

— Après quoi vous irez chasser ensemble, et ma médecine donnera sa démission.

Francion, qui polissait la crosse de son fusil avec la manche de sa blouse, hocha la tête. — Hum ! pensa-t-il, j’ai idée que mon ami Valentin n’a pas tout dit.

Deux ou trois fois déjà Marthe, qui ne restait guère en place, et qui volontiers courait la campagne après avoir égayé ses oreilles par le divertissement d’un concert matinal, avait surpris Francion en conférence, sur le bord d’un champ, avec un grand jeune homme blond qu’il suffisait de voir en passant pour deviner qu’il appartenait à un autre monde que celui d’où sortait le braconnier. La connaissance devait être ancienne ; Jacquot, qui n’avait pas l’humeur tendre, frottait volontiers son museau contre la main du grand jeune homme. L’inconnu était quelquefois en habit de ville, quelquefois en costume de chasse. Cela paraissait singulier à Mlle de Neulise ; mais Marthe n’était point curieuse, et Francion, qu’elle avait