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proscrites par l’église donner la main aux plus folles superstitions de la magie pour combattre la foi catholique. Mais elles furent vaincues elles-mêmes en la personne d’Eugène et d’Arbogaste au pied des Alpes-Juliennes, près des bords de la Rivière-Froide, le 6 septembre 94, après une bataille longtemps indécise; les lois d’unité purent alors être proclamées en Italie. Toutefois le vainqueur était frappé à mort. Atteint d’une hydropisie, double fruit des fatigues de la guerre et des agitations violentes de la politique, Théodose n’entra dans Milan que pour en sortir bientôt au fond d’un cercueil.

La maladie qui enlevait ainsi le fondateur de l’unité catholique cinq mois après une victoire disputée menaçait d’emporter avec lui son ouvrage. Si l’Orient était définitivement conquis à sa pensée, il n’avait rien gagné en Occident qu’une bataille; l’armée d’Eugène n’était pas dissoute, les vainqueurs et les vaincus de la Rivière-Froide restaient toujours en présence, prêts à reprendre la lutte au moindre signal. Revenu de sa première frayeur, le parti des religions dissidentes ressoudait çà et là ses tronçons épars, tandis que des rigueurs impolitiques décrétées contre les chefs du sénat, dans l’enivrement du succès, ne faisaient qu’accroître leur influence et les pousser à de nouveaux efforts. La paix semblait donc suspendue au dernier souffle de l’empereur moribond. Aussi, à mesure que la maladie marchait vers un terme fatalement prévu, le sénat, centre de toutes les oppositions, prenait une attitude plus confiante et plus libre; l’armée païenne s’agitait, et les exilés ne quittaient plus l’Italie. En face de tant d’embarras qu’il allait léguer à de jeunes enfans, faibles de corps autant que d’esprit, et qui ne promettaient guère de devenir des hommes, l’âme de Théodose se troubla; le père craignit pour sa famille, le politique pour son idée, le catholique pour sa foi, et cette volonté si hardie, si persévérante, si exclusive, recula devant son œuvre. D’une main à demi glacée par la mort, le vainqueur d’Eugène traça les articles d’une loi d’amnistie, recommandant en outre au ministre qui l’assistait dans ce moment suprême et devait être le principal conseiller de ses fils une politique plus tolérante que la sienne et un retour à la conciliation des partis. Tel fut ce testament de Théodose, moitié oral et moitié écrit, qui, interprété, commenté, amplifié, loué par les uns, nié et combattu par les autres, donna lieu plus tard à tant de controverses et de sanglans débats. Sous le poids de ces amers pressentimens, le dernier des grands césars rendit son âme au Dieu dont il avait servi seize ans la cause avec une conviction passionnée.


I.

Le ministre qui l’assistait à son lit de mort, et qui reçut de lui des instructions verbales pour ses fils, était un Barbare d’origine,