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qu’il est un créateur, car il ne comprend que parce qu’il aime, et qu’aimer est synonyme d’égaler.

Enfin n’oublions pas que le cheval de Phidias fait partie de la frise d’un temple consacré à Minerve, et que cette frise était destinée à reproduire la fête des panathénées. Le but suprême de l’art est la religion. L’amour révèle la beauté, mais ce n’est pas lui qui l’a créée ; la beauté est un don gratuit des dieux à la terre. Ce n’est donc pas la beauté qui est le but de l’art, comme l’ont pensé et le pensent encore beaucoup d’esprits élevés, car la beauté n’a pas sa fin en elle-même, elle n’est que la matière dont l’artiste se sert pour son œuvre, et l’artiste qui l’aime pour elle-même tombe sans le savoir dans l’idolâtrie de Pygmalion. Ce n’est pas davantage l’amour qui est le but de l’art, car l’amour n’est pour ainsi dire que l’instrument dont se sert l’artiste pour saisir la beauté, la lampe dont il s’éclaire. L’amour représente l’artiste et non pas l’art ; il n’est qu’un intermédiaire ; Dieu est donc le but véritable et légitime de l’art. À d’autres époques, la pensée que nous venons d’exprimer eût paru un lieu-commun, tant les arts avaient d’étroits rapports avec la religion ; mais aujourd’hui nous craignons presque que cette pensée ne paraisse un paradoxe. Les arts sont sortis du sanctuaire, et l’on peut se demander, sans grande témérité, s’ils y rentreront jamais. Aussi, privés du but véritable que leur assignait la logique des lois qui les gouvernent, ils déclinent et s’étiolent dans un isolement égoïste, et ils profanent la beauté, dont ils ne connaissent plus le caractère sacré. La faute n’en est pas aux artistes, mais à l’atmosphère qu’ils respirent, et cependant, même en l’absence de foi certaine et de symboles vénérés, on peut dire que la religion est encore le but de l’art et sa vraie destination, car ceux-là seulement sont de vrais artistes qui savent que le mystère du monde est un mystère divin, qui savent reconnaître dans tous les objets créés des syllabes d’une langue divine, et qui sont capables d’entendre, comme le duc exilé de Shakspeare, des sermons dans les pierres et des discours dans les arbres. Celui qui n’a pas à un degré quelconque le sentiment du divin dans le monde, celui qui ne sait pas rapporter à une force qu’il ne peut nommer son amour et sa reconnaissance, fera bien de ne jamais prendre un pinceau, un ciseau ni une plume. Il n’entendra jamais la musique des sphères célestes, il n’est et ne sera jamais artiste où poète.


EMILE MONTEGUT.