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aussi la méthode platonicienne, et il en a fait l’emploi le plus judicieux et le plus habile. Vous savez en quoi consiste cette méthode, qui s’appelle la dialectique, par laquelle l’esprit s’élève sans efforts de l’atmosphère pesante de la terre aux régions inaccessibles de l’idéal. Étant donné un objet sensible dont vous connaissez tous les caractères contingens, vous dégagez de tous les accidens multiples qui l’entourent, forme, couleur, parfum, la qualité qui constitue son être, l’idée invisible dont il est le signe ; puis, vous servant de cette idée particulière comme d’une nouvelle marche, vous vous élevez à une idée plus générale, et vous remontez progressivement l’échelle de l’idéal, dont les degrés s’élargissent de plus en plus à mesure qu’on s’éloigne du monde sensible. C’est ainsi qu’a procédé M. Cherbuliez dans l’exposition et le développement de ses théories. Il est parti de la contemplation très particulière d’un des chevaux de Phidias, et s’est appliqué à le connaître dans tous ses accidens de forme, de race et d’éducation. Quel est ce cheval ? Appartient-il à une race déterminée ? Est-ce la race qui lui communique sa beauté, ou la doit-il au génie de l’artiste ? Devons-nous louer en lui une certaine beauté générale, ou bien sa beauté lui est-elle propre ? L’individualité du cheval étant une fois constatée, l’auteur a cherché la raison de cette individualité, et il l’a trouvée dans l’équitation grecque et les idées des Athéniens sur l’éducation du cheval, c’est-à-dire dans les rapports du cheval avec l’homme, et par suite avec la civilisation athénienne tout entière, ses lois, ses mœurs, ses plaisirs, ses cérémonies religieuses. Puis, s’élevant de cette discipline équestre de la Grèce qui était toute douceur, toute sympathie, au principe de l’art, l’auteur découvre que ce principe n’est pas autre que celui qui présidait à l’équitation grecque, c’est-à-dire l’amour. Le souffle qui anime ce cheval d’une ardeur si soumise, qui le fait caracoler avec Une vivacité si gracieuse, est le même qui respire dans ces cavaliers d’une fierté si tranquille et dans ces jeunes filles d’une simplicité si noble. C’est l’amour qui, se multipliant et se prodiguant sous mille formes, révéla, dès l’origine du monde, à tous les êtres la beauté dont ils étaient doués, et c’est lui qui depuis lors révèle les secrets de cette beauté aux artistes. Avant de surprendre la beauté d’un objet, il faut que l’artiste l’ait aimé ; mais il ne l’aime réellement que lorsqu’il a découvert le dernier mystère de l’art, qui est un mystère sacré. La pensée des dieux, quand ils douèrent de beauté toutes les choses créées, fut de faire aimer leurs œuvres par les hommes, et d’arracher de leurs cœurs reconnaissans le remercîment du don qui leur était fait. Ainsi les dieux se sont glorifiés eux-mêmes dans la nature, et lorsque l’artiste et le poète chantent avec enthousiasme