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leur activité dans les chemins de fer, car, parmi elles, dans la situation de concurrence où elles sont, non-seulement il n’y en a pas une seule qui résistât au facile moyen de se liquider par une expropriation, mais peut-être il n’en est pas une seule qui ne sollicitât cette douce violence. Et qu’on ne dise pas que nous nous complaisons à discuter, à combattre des projets chimériques : il est de l’essence même du gouvernement de tendre à ces fins.

Déjà maître de la fabrication des armes, de l’architecture navale, de l’exploitation des forêts, des travaux publics, des tabacs, de la télégraphie, du transport des dépêches privées, auquel il vient de joindre la petite messagerie, l’état compléterait, par la reprise des chemins de fer, tout un système d’accaparement et de monopole. Ces conséquences du rachat conduiraient donc à l’arrêt de tout progrès dans la construction et l’exploitation des chemins de fer. Par. suite de cet esprit de conservation qui mérite à l’administration gouvernementale des reproches aussi bien que des éloges, nous avions, dans l’établissement des chemins de fer, été dépassés par l’Angleterre, l’Allemagne et la Belgique. Que serait-ce si cet esprit s’introduisait dans les rouages multiples qui concourent à faire fonctionner un chemin de fer ? Où en seraient les tentatives de solutions économiques auxquelles chaque jour les compagnies consentent à leurs risques et périls ? En concentrant ce grand instrument dans une immense administration, le changement des règles établies, des formules adoptées, des types consacrés, deviendrait impossible. Les solutions économiques ne solliciteraient plus l’initiative de fonctionnaires qui n’auraient plus à se préoccuper des revenus à fournir à un capital dont la valeur s’élève ou s’abaisse suivant la prospérité de l’entreprise à laquelle il est attaché. En supposant que l’état suivît les erremens des compagnies et changeât ou modifiât à certains momens les bases des tarifs, le relèvement de ces tarifs deviendrait aussi difficile que le l’établissement d’un impôt.

D’après ce qui s’est passé depuis l’organisation des compagnies, ne peut-on pas d’ailleurs prédire ce qui se passerait dans la construction des nouvelles lignes, si l’état avait à les établir ? Pendant que nos voisins réduisent de jour en jour, pour leurs nouveaux chemins de fer, les frais de premier établissement, et les ont abaissés déjà de plus de moitié sur le coût primitif, nous avons vu, en France, par suite des droits de contrôle concédés à l’administration par le cahier des charges des compagnies, ce prix s’élever tous les jours. Que serait-ce s’il n’y avait pas une certaine résistance des intérêts privés à cette tendance ? Et ne peut-on pas appréhender que cette progression singulière dans le prix de la construction ne se produise aussi dans les frais de l’exploitation ? Nous aurions cependant tort d’insister