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publiques pèsera donc sur tous les contribuables, frappera en même temps les départemens qui auront des chemins de fer et ceux qui en seront privés. Dès lors l’état pourra-t-il répondre par un refus à tant de localités qui, éloignées aujourd’hui dia parcours des voies ferrées, demandent qu’on en étende jusqu’à elles le bienfait ? Pourra-t-il ajourner des réclamations qui s’appuieront sur ce principe fondamental de toutes nos constitutions modernes, — l’égalité devant l’impôt[1] ? Non ; l’état ne pourra user d’aucun des argumens que les compagnies peuvent présenter : non-seulement il sera contraint de faire, au point de vue politique, justice sans délai, mais il ne pourra pas appliquer ce système ingénieux qui consiste à faire participer dans les dépenses de construction de lignes d’embranchement les départemens, les communes et les villes qui les réclament, car pourquoi cette inégalité dans la distribution des faveurs publiques ? Pourquoi y aurait-il deux manières de faire de la part de l’état ? Aurait-il deux poids et deux mesures ? Voilà ce qu’on dirait, et l’état ne serait pas seulement conduit par les conséquences de l’expropriation à faire promptement tous les chemins concédés, il serait encore obligé de pourvoir à la construction de 10,000 kilomètres à peu près de voies ferrées complémentaires. Les réseaux concédés forment 16,000 kilomètres ; l’étendue des routes impériales est de 35,000 kilomètres : en supposant que les chemins de fer doivent atteindre un parcours de 26,000 kilomètres, on ne peut être taxé d’exagération. Or ces 10,000 kilomètres complémentaires, à raison de 300,000 francs[2] par kilomètre dans le système de construction actuellement en vigueur, coûteraient 3 milliards. Ces 3 milliards ajoutés aux 8 milliards 472 millions, prix du rachat, et aux 8 milliards 600 millions, en chiffres ronds, déjà inscrits au grand-livre, élèveraient à plus de 20 milliards le chiffre de la dette publique ! Voilà quel serait le résultat financier du rachat des chemins de fer par l’état.

Ce n’est pas tout : on nous permettra d’ajouter que cette permanence d’emprunts à contracter, cette augmentation forcée des impôts, peuvent, dans telle circonstance qu’il est prudent de prévoir, amener un si grand trouble dans l’économie générale de nos finances, que l’on soit obligé d’interrompre les travaux des chemins de fer, ou du moins d’en retarder l’achèvement et l’extension. On

  1. En ce qui concerne les voies ferrées, la France est en ce moment au troisième rang quant à l’étendue kilométrique absolue des chemins construits ou simplement décrétés, au cinquième rang par. rapport à l’étendue de son territoire, enfin au septième rang par rapport à sa population. Elle est de tous points dans un état d’infériorité vis-à-vis de l’Angleterre et de la Belgique.
  2. La moyenne du coût kilométrique des chemins de fer est de 330,000 francs.