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plutôt le portrait de toute une tribu, tant le père et la mère ont de nombreux enfans. Ils sont dix-neuf, tous en prières, dans le chœur d’une grande église, rangés par sexe selon la coutume, les garçons moins nombreux que les filles, et de chaque côté s’échelonnant par âge. Ce spectacle naïf et un peu trop réel serait d’une symétrie presque anti-pittoresque sans le talent du peintre qui l’anime, l’échauffe et le diversifie à force d’exprimer en traits vivans la variété de ces physionomies ; mais ce qui ennoblit surtout, ce qui relève cette scène de famille, c’est la présence surnaturelle de l’enfant-Dieu, de sa sainte mère et des deux bienheureux, patrons des deux parens. Or cette scène mystique n’est ici qu’accessoire et presque au second plan, tandis que dans le Mariage de sainte Catherine nous ne trouvons aucun mélange de la réalité, pas même sur les volets, car c’est seulement à leurs revers que sont modestement placés les donateurs. De cette séparation de l’idéal et du réel résulte une clarté plus grande, plus d’unité, moins de confusion, une impression plus solennelle et plus profonde. Mais, cette réserve faite et ce chef-d’œuvre mis à son rang, n’est-il pas juste d’ajouter que l’artiste y révèle certains dons naturels à peine aperçus à Bruges, et par exemple une manière à lui de comprendre et d’interpréter les grâces du jeune âge ? Parmi tous ces portraits, il y a des têtes enfantines d’un charme inexprimable. Ce parfum d’innocence, cette fraîcheur souriante, cette souplesse de carnation, je ne vois guère que Greuze, dans un système de peinture absolument contraire, qui parfois les rencontre aussi.

Je n’ajoute qu’un mot pour indiquer un lien de plus entre l’Hemling de Paris et ses aînés de Bruges. Grâce au diptyque de l’hôpital, deux choses vous sont connues : la date de ces portraits, le nom de cette patriarcale famille. Regardez en effet ce jeune homme, non pas celui qui vient immédiatement après le père, jeune abbé déjà tonsuré, mais celui qui le suit : ’ ne nous souvient-il plus de cette énergique figure ? Elle n’est pas vulgaire, on ne peut l’oublier : regardez bien, c’est Martin van Newenhoven, le donateur du diptyque. Il avait vingt-trois ans en 1487, il peut ici en avoir deux de moins : vous avez donc la date du tableau. Et quant au nom de la famille, ce sont, vous le voyez, les Newenhoven grands et petits, qui ont eu la très heureuse idée de passer à la postérité en posant devant ce grand peintre.

Ainsi, après avoir bien cherché, nous n’avons trouvé hors de Flandre qu’un seul tableau authentiquement d’Hemling, c’est-à-dire évidemment conforme à Bon type le plus original. Un jour peut-être on en trouvera d’autres, surtout en fouillant l’Espagne : tous les chefs-d’œuvre dont Philippe II et les gens de sa cour ont dépouillé