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monde. Cela ne sera pas de mon temps. Une guerre comme celle de notre révolution, c’est assez dans une vie. La mienne s’est trop prolongée, puisqu’elle m’en a fait voir une seconde. Je compte sur le coup de grâce avant la venue de la troisième. Pourtant, si l’Europe a des affaires à régler qui la conduisent à réduire à la paix et à l’ordre moral cet hostis humani generis, je le verrai avec plaisir, et je chanterai comme le vieux Siméon : Nunc dimittis, Domine. Quant à vous, cua ut valeas, et me, ut amaris, ama. »

Comme Jefferson l’avait prévu, le gouvernement américain dut mettre fin à la guerre sans avoir atteint le but pour lequel il l’avait entreprise : elle avait eu pour principal prétexte cette question de la presse des matelots qui, depuis 1793, était un continuel sujet de difficultés entre les États-Unis et l’Angleterre, et dont le règlement avait toujours été représenté par le parti républicain comme devant être la condition sine quâ non de tout arrangement diplomatique avec la Grande-Bretagne. Le traité de Gand, pas plus que celui de 1794, si violemment attaqué par Jefferson, pas plus que celui de 1806, si légèrement rejeté par lui, ne contenait la moindre stipulation à ce sujet. Ce traité fut cependant « le bienvenu » à Monticello, d’autant plus qu’il y arriva avec la nouvelle inespérée que la guerre avait fini sur un glorieux coup d’éclat, trop tardif pour agir sur les négociations de Gand, mais assez frappant pour valoir au peuple américain bien mieux qu’une bonne paix. C’est en effet à la victoire de la Nouvelle-Orléans qu’est due en grande partie l’impression morale qu’a laissée dans le monde la guerre de 1812, guerre imprudemment engagée, faiblement conduite, rarement heureuse, très coûteuse, parfaitement stérile en résultats diplomatiques, et cependant utile en définitive au prestige des États-Unis autant que féconde pour eux en leçons nécessaires. Leurs milices avaient été souvent battues, et parfois d’une façon honteuse ; mais, grâce au général Jackson, le monde restait sous l’impression des choses merveilleuses qu’elles pouvaient accomplir, conduites par un chef entraînant et audacieux. Leur trop petite marine avait été peu à peu chassée presque entièrement de l’Océan par des forces supérieures ; mais, avant de céder au nombre, elle avait enlevé plus de dix-sept cents navires à la première nation maritime du monde. Leur dette s’était considérablement accrue ; mais ils avaient appris ce que coûte le gouvernement à bon marché et ce que vaut la politique quaker. C’est de la guerre de 1812 que datent le respect de l’Angleterre pour les États-Unis et ce que Jefferson appelait tristement « la manie navale de ses compatriotes : » double bienfait dont les États-Unis n’ont d’ailleurs aucun gré à savoir à l’administration qui le leur a valu sans le vouloir et sans le prévoir !

Le redoublement de haine contre la Grande-Bretagne que la